La manufacture de la ville ou le commencement

Alexandre Chemetoff

Pendant deux ans également partagés entre le temps des études de définition de janvier à décembre 2008 et celui des débuts du projet de janvier 2009 à janvier 2010, nous avons engagé un travail d’urbanisme, de paysage et d’architecture sur le territoire de la plaine Achille et de la Manufacture d’armes, à Saint-Étienne.

J’aimerais ici décrire un projet à ses débuts, dire où nous en sommes, en quoi et comment le projet est un outil de connaissance, de repérage, de compréhension d’une situation, comment se tissent les liens entre une situation et un projet. Comment un projet se construit-il, de quoi se nourrit-il ? Le projet que nous avons entrepris est aussi une façon d’être au monde, de dialoguer avec nos contemporains, de s’adresser à eux.

Indéchiffrable !

Cette ville a quelque chose d’indéchiffrable. Au début, je dois l’avouer, j’ai ressenti une certaine difficulté à comprendre l’endroit où nous nous trouvions. La plaine Achille et la Manufacture sont des territoires qui ne se laissent pas facilement appréhender. Les études que nous avons menées nous ont permis de commencer à lire l’endroit. Le territoire, qui était d’une assez grande opacité, petit à petit se dévoile et prend forme. La manière dont nous conduisons le projet est non seulement un instrument de transformation, mais aussi un outil de connaissance et de reconnaissance. Pour explorer une situation, il faut la mettre à l’épreuve. En l’imaginant autrement on apprend à la voir telle qu’elle est. En la transformant, on la découvre déjà sous un autre jour. Non seulement les emprises sur lesquelles portent nos propositions prennent un sens, mais le territoire en dehors du périmètre de notre intervention devient intelligible. Dans ce sens, le projet est une expérience cognitive, une manière d’éprouver une situation, de la comprendre, de la déchiffrer.

Le territoire, qui était d’une assez grande opacité, petit à petit se dévoile et prend forme. La manière dont nous conduisons le projet est non seulement un instrument de transformation, mais aussi un outil de connaissance et de reconnaissance. Pour explorer une situation, il faut la mettre à l’épreuve. En l’imaginant autrement on apprend à la voir telle qu’elle est.

« Bonjour monsieur le maire »

Nous n’avions pas eu l’occasion de rencontrer le maire de Saint-Étienne, Maurice Vincent, nouvellement élu.

La première fois, nous nous sommes retrouvés sous le pont de chemin de fer de la gare Carnot à l’endroit où l’axe principal de la ville débouche sur la place Carnot. Il pleuvait. Nous avions préparé des cartes et des dessins pour comprendre et commenter la proposition sur la base de laquelle nous avions été choisis et engager le dialogue. Notre petite troupe était là, protégée par des parapluies qui formaient un toit mouvant. Des mains se tendaient en différentes directions, les plans colorés étaient tournés selon l’orientation du site et confrontés à ce que nous voyions. Je me souviens que l’endroit où nous venions de faire connaissance était un point de vue depuis lequel on apercevait au travers des buissons de la place Carnot les bâtiments de la Manufacture qui allaient s’ouvrir au public pour la première fois de leur histoire. Sous nos yeux se dessinait une liaison, une continuité entre deux parties de la ville jusqu’alors séparées. Nous regardions en direction de la Manufacture et en nous retournant, nous pouvions voir l’hôtel de ville et la préfecture.

La transmission

La visite nous conduisit plus tard dans les bâtiments de la Société stéphanoise de constructions mécaniques (SSCM). Ces grands hangars métalliques furent habillés de bardage dans les années quatre-vingt pour en changer l’aspect. Cette enveloppe nouvelle a vieilli plus vite que la structure industrielle qu’elle dissimule. Censée embellir des constructions, elle a produit l’effet inverse : elle les déqualifie, elle condamne ces constructions et les voue à la démolition. C’est sans doute parce que l’image de cet ancien ensemble industriel était devenue négative que le maire, prévenu de notre projet d’utiliser ces bâtiments pour abriter un institut universitaire, avait exprimé sa réserve.

Société stéphanoise de constructions mécaniques,
visite du 18 février 2009.

Bravant le froid et la pluie, nous arrivâmes sous la halle de la nef centrale. La structure et les volumes nous apparurent avec leurs qualités comme une évidence. La visite les avait révélés sous un autre jour. Cet ensemble qui hier était destiné à disparaître, réapparaissait. Cette capacité de l’histoire industrielle du site à être le support de sa mutation et de sa métamorphose devenait évidente. Nous regardions la plaine d’un œil différent. Chacun avait compris au travers de l’exemple des ateliers de la SSCM que ce qui était là pouvait devenir le point de départ d’un nouveau récit. Les histoires de cette ville écartelée entre un passé industriel défait et les promesses d’autres dynamiques pouvaient s’écrire autrement. La recherche d’une continuité dans les mêmes lieux entre l’activité mécanique et l’enseignement, la recherche, l’innovation tissait un lien dans lequel le génie particulier de cette ville, son esprit industrieux et entreprenant trouvaient un espace, une représentation et une expression construite. La nouvelle vie de ces ateliers voués à la démolition devenait le symbole de la renaissance possible de la plaine et de la Manufacture. Le patrimoine industriel n’était plus un obstacle. Au contraire, c’était une richesse pour l’avenir.

Le retour de l’université en ville se faisait grâce à l’héritage industriel de ces grandes structures, dans lesquelles jadis résonnaient les bruits des machines. Demain, ces mêmes édifices abriteraient des salles de cours et de travaux pratiques.

Le Furan en aval de Saint-Étienne, août 2009.
Chercher la Loire

Nous arrivons par le chemin de fer de Paris depuis Lyon par la vallée du Giers, un affluent du Rhône. J’ai pu saisir le sens de l’indication « route de Roanne » portée sur les plans historiques sur la grande rue uniquement parce que, l’ayant suivie, j’ai compris que la route de Roanne avait été celle qui reliait Saint-Étienne à Paris en passant par la Loire.

Cette situation est indéchiffrable. Nous engageons un projet comme un processus ouvert, un travail de reconnaissance. La reconnaissance, c’est aussi une reconnaissance de terrain, de ce qui est déjà là. Pour comprendre où menait le Furan, je l’ai suivi jusqu’à son embouchure avec la Loire. Je suis allé à Andrézieux, à Saint-Rambert, sur le port où les rambertes partaient pour Nantes, descendant la Loire pour un voyage sans retour. L’embarcation était elle-même considérée comme une marchandise, le transport mêlant contenant et contenu. Le charbon au-dedans était porté par la coque de ces embarcations qui servirait demain de bois d’œuvre sur l’île de Nantes pour d’autres chantiers.

La vallée du Rhône à Condrieu vue depuis les monts du Pilat, août 2009.
Une excursion vers le Rhône

L’été, j’aime bien en compagnie de mon jeune fils parcourir la France et lire ainsi le territoire à livre ouvert. Cette année-là nous sommes allés de Gentilly au pont du Gard, d’un aqueduc l’autre, en passant par Saint-Étienne. Nous avons suivi le cours du Giers, puis traversé le Pilat pour rejoindre le Rhône. Là sur les hauteurs qui dominent le fleuve au-dessus des vignobles de Condrieu, j’ai compris que Saint-Étienne, cette « ville privée de fleuve », pour reprendre l’expression employée par Maurice Vincent lorsqu’il vint à Bordeaux visiter notre exposition « Situations construites » au centre d’architecture Arc-en-rêve et parler de son rapport avec les villes, était un territoire ouvert en vérité sur deux fleuves, la Loire et le Rhône.

La ligne de partage des eaux

La visite des trois vallées avec Philippe Peyre, directeur du musée de la Mine, nous fit voir et comprendre comment ces installations participaient d’un système territorial qui possède une force et un avenir. Ces édifices, ces bâtiments industriels ne sont pas des vestiges. C’est un trésor pour l’avenir. Ils représentent un extraordinaire potentiel pour la ville territoire, celle qui s’étend le long des vallées entre Givors et Andrézieux-Bouthéon, entre Rhône et Loire. En réalité c’est une ville neuve de la révolution industrielle qui contient toutes les ressources nécessaires à sa métamorphose. Lorsqu’on trace la ligne de partage des eaux qui traverse la ville, on comprend mieux que cette ville n’est pas dans une situation recluse au fond d’une vallée mais qu’elle est ouverte en direction de deux univers : la Loire s’ouvre sur l’Atlantique à Saint-Nazaire et le Rhône sur la Méditerranée à Marseille.

Le pont de chemin de fer de la ligne de Saint-Étienne à Montbrison franchissant la Loire à Andrézieux-Bouthéon.

Cette possibilité offerte par ce réseau (faut-il dire « cluster territorial » pour se faire comprendre ?) est une forme contemporaine de développement territorial.

Les tentatives pour que cette ville change d’image et abandonne son passé industriel, qu’elle tourne le dos à son histoire sont vouées à l’échec. Elles sont culpabilisatrices et destructrices. En même temps elles participent de logiques de l’oubli. Elles supposent de dépenser des ressources inexistantes au profit d’un mirage économique improbable et inaccessible. Il est plus pertinent de redonner à lire ce potentiel et de le transformer pour le rendre accessible à de nouvelles fonctions.

La question posée

La question posée ici à Saint-Étienne est directement liée à la possibilité de développer une cité qui a connu une forte décroissance et une diminution du nombre de ses habitants. Cette question nous est posée sur les territoires particuliers de la plaine et de la Manufacture liés l’un comme l’autre à l’histoire industrielle de la ville.

Halle à charpente en bois de l’extension des laminoirs du Couzon, visite du 14 octobre 2009.
Ancienne teinturerie Gillet, rue Louis-Chatin, Saint-Chamond,
visite du 14 octobre 2009.
Les précédents

Nous ne sommes pas les premiers à nous pencher sur ce lieu. Un plan conduit par l’urbaniste Loïc Josse a déterminé la construction d’environ deux cents logements qui sont maintenant habités. La Cité du design vient d’être livrée, tout comme l’École d’art, construite ex nihilo pour l’une et aménagée dans un ancien bâtiment de la Manufacture pour l’autre, par Finn Geipel. Une école qui fait partie du Pôle optique est en construction, sur laquelle l’architecte des bâtiments de France a donné un avis. Le Zénith, conçu par l’architecte britannique lord Norman Foster, entouré d’un vaste parking que l’on doit au paysagiste Michel Desvignes, occupe désormais le centre de cette plaine industrieuse. Des études également ont été conduites, dont un schéma de verdissement de la plaine et un franchissement de la voie de chemin de fer par une large esplanade en creux.

On voit que l’imaginaire du site est durablement marqué par des édifices ou des aménagements qui donnent un sens particulier aux lieux et rendent le plus souvent, et c’est là leur principal défaut, dérisoire voire obsolète tout ce qui les entoure. Mais les études peuvent aussi laisser dans la mémoire des uns et des autres des présupposés parfois tenaces et difficiles à faire évoluer, comme par exemple le concept de plaine des parcs, ou encore le franchissement des voies ferrées comme un problème et une nuisance. Il nous faut revisiter le site, réinterroger ces certitudes, celle par exemple qui inscrit les bâtiments de la Manufacture comme un ensemble historique que l’on doit restaurer à l’identique dans un esprit conforme à son identité et son origine militaire et guerrière, martiale en un mot.

Plan d’état des lieux, décembre 2008.
L’économie inventive

À Saint-Étienne, dans la plaine Achille et aux abords de la Manufacture, nous avons entrepris un projet urbain en essayant de faire la ville autrement. Nous avons été d’emblée frappés par le caractère particulier du point de vue économique de la situation stéphanoise. Tout d’abord la maîtrise d’ouvrage qui dépend directement de l’État est là pour nous rappeler par son existence même que nous sommes dans une situation singulière. Ensuite nous observons en passant devant la devanture des marchands de biens que les prix de vente des appartements sont particulièrement bas.

Tous ces indicateurs nous poussent à développer une action soucieuse de son économie, consciente que les moyens disponibles sont limités et qu’ils doivent rester en adéquation avec le contexte économique de la ville.

Il ne s’agit pas d’adopter une attitude paupériste, mais ancrée dans le réel, qui permette de susciter mais aussi d’accompagner la transformation de la plaine.

Nous avons proposé de placer l’approche économique au cœur du projet, pour une économie inventive. Cette démarche initie un urbanisme du réemploi et de l’ajustement qui agit localement sur des pôles pour revaloriser le site tout entier en s’attachant aux usages et en s’appuyant sur ses ressources.

Cette nouvelle forme d’économie – nouvelle, au sens où elle place le projet au centre de la décision – suppose de pouvoir être en mesure en chaque circonstance de mener une discussion, de faire des choix non pas a priori mais en fonction des circonstances, des situations rencontrées.

Elle se fonde sur une connaissance partagée des lieux et des conditions de mise en œuvre du projet. Elle va du site au programme et du programme au site dans un dialogue permanent pour ajuster l’un à l’autre, l’un et l’autre.

Ce dialogue se poursuit jusqu’à la réalisation des chantiers qui ne sont pas une exécution mais une interprétation comme on le dit d’une partition musicale. L’esthétique produite est simple, populaire et raffinée. Elle met en avant le confort et la valeur d’usage.

Ce que nous défendons au commencement, c’est l’idée que l’attention au lieu, à la manière de continuer le récit engagé, permet de transformer la ville et de la construire plus largement, plus vite, pour moins cher, de la partager d’une manière plus démocratique. C’est une démarche à suivre pour la ville dense et active, pour la ville en devenir. Nous n’en sommes qu’au commencement.

Plan guide, 9 décembre 2009.
Comment peut-on, à partir de ce que l’on trouve, faire un projet ?

La Manufacture de la ville pourrait être une manière de se servir de la maîtrise des transformations, du projet en train de se faire comme un outil de compréhension des situations et des capacités qu’elles recèlent. C’est une manière de joindre le geste à la parole, de faire et de faire faire pour comprendre et pour partager un projet. C’est une manière de se projeter en avant à partir de la transformation même de la réalité, de l’adoption critique de ce que nous trouvons. Le site pourrait être un lieu de ressources au sens strict, c’est-à-dire que nous pourrions nous servir de ce qui est là comme matière même de notre projet.

Comment pouvons-nous imaginer à partir de ce qui existe inventer la métamorphose de la ville sur elle-même ?

La Manufacture depuis la place Carnot. De l’état des lieux au projet.
Ce que nous avons trouvé sur le site

Nous avons fait le recensement de tout ce que nous avons trouvé sur le site : les enrobés bitumineux, les abris à vélos, les arbres, les éléments de mobilier, les candélabres, les bancs, les rochers, Nous avons représenté chaque chose, nous l’avons photographiée, dessinée, relevée.

Nous proposons de réemployer ce que nous trouvons sur le site, y compris les éléments les plus récents, indépendamment du point de vue esthétique que nous pourrions avoir a priori.

Nous cherchons à construire un rapport avec ce que l’on trouve sur place, utilisé comme matière première, réutilisé, parfois restitué, installé dans une autre relation au site, ou bien révélé, dévoilé, mis en correspondance avec le site plus large, qu’il soit directement en relation ou relié au même réseau. Nous introduisons dans cette fabrication des éléments nouveaux, de nouvelles plantations, de nouveaux sols, de nouvelles constructions, qui à leur tour se situent dans ce contexte recomposé. Notre proposition est polysémique, composite et diverse. Elle n’est pas linéaire ; elle reste expérimentale. Elle est dépendante des conditions du milieu. Elle est fondamentalement une démarche environnementale, attentive aux conditions de production, à la réalité économique. C’est une démarche relative qui se sert des aléas et des imprévus.

Le parc serait-il un état particulier de la ville ?

La ville parc que nous cherchons à créer est en relation avec cette réalité de la ville territoire qui est elle-même le résultat planifié de différents déploiements industriels. Cette ville nouvelle existe, elle est issue des grands territoires de l’industrie dont la plaine et la Manufacture font partie.

Ce que nous avions perçu en observant la structure du territoire existant le long des voies ferrées, des cours d’eau, des rues ou des routes trouve un écho dans l’organisation du paysage industriel stéphanois. Ressources minières, réseaux hydrographiques, réseaux de desserte fer et route dessinent un grand paysage en prise avec le territoire.

Pour l’implantation de la Manufacture le long du Furan, c’est une logique géographique qui détermine l’implantation de l’activité industrielle.

La ville parc serait à la fois une représentation ou une révélation de la valeur de ce qui est là et une ouverture vers un paysage plus vaste, celui des implantations industrielles et du territoire qu’elles décrivent.

Dans le parc de la plaine Achille. De l’état des lieux au projet.
La place de la voiture

La voiture occupe une place importante dans le projet. Nous ne sommes pas dans un environnement propice à un abandon de ce mode de déplacement. Il faut sans cesse trouver une manière pour concilier la ville et la voiture. Il semble que l’économie repose en partie sur cette capacité offerte d’une utilisation facile et peu chère de la voiture. On voit aussi qu’il existe une ville territoire qui s’est développée le long des voies de chemin de fer et qui pourrait connaître un nouvel essor. Comment accorder ces différentes échelles de temps dans la conduite du projet qui nous intéresse ? Tout se passe comme si ces situations que l’on peut rencontrer et décrire à l’échelle du grand territoire se trouvaient ici représentées à une échelle réduite et accessible. La Plaine-Manufacture devient une sorte de modèle de la ville territoire, un maillon d’une chaîne plus vaste et dont la forme devrait se comparer et se comprendre et même s’envisager en regard d’un espace plus vaste. La plaine est l’espace témoin de cette ville territoire. La manière dont nous pourrions trouver ici une solution à cette épineuse question de la voiture pourrait servir de modèle à la résolution de cette question.

La Manufacture de la plaine

Nous qui sommes désormais sur les rives du Furan, outre-Furan dit-on à Saint-Étienne pour désigner les territoires au-delà du cours de cet affluent de la Loire, n’oublions pas que nous nous trouvons à l’emplacement de cette ancienne Manufacture précisément installée le long de cette rivière dans les ateliers où la main était à l’œuvre aidée par la force de la vapeur et des courants. Nous qui parcourons ces rues désertes, nous qui sommes, avec Le Corbusier fascinés par la main de l’architecte, n’oublions pas la main de l’homme. La ville est un produit manufacturé. La main nous sert à en façonner l’avenir. C’est notre force, celle que nous mettons en œuvre contre la banalisation. La main de Le Corbusier de Chandigarh à Firminy, notre main sur le sol sur le site, nos mains qui caressent la surface des choses, les mains qui révèlent la matérialité de ce qui est là et de ce qui advient, toutes les mains qui sont indispensables pour gagner le pari de la métamorphose d’un lieu. Ce qu’annonçait le penseur et passeur Edgar Morin dans « Éloge de la métamorphose », un article paru dans l’édition du journal Le Monde daté du 10 janvier 2010, on pourrait le mettre en œuvre ici pour passer de la révolution industrielle à la métamorphose de la ville territoire.

À livre ouvert

Cette démarche expérimentale bouleverse et réordonne la succession des phases du projet et leur chronologie, elle introduit une autre temporalité dans la transformation et la construction de la ville. L’analyse ne précède pas le programme mais s’inscrit dans un temps parallèle, avant, pendant et après.

Le bâtiment historique de la Manufacture, cour intérieure.

Le projet à peine commencé peut être partagé et des travaux engagés sans attendre. Chacune de ces étapes fait l’objet de séances publiques, d’ateliers ouverts.

Une réunion publique n’est pas une confrontation, un vis-à-vis, mais une séance de travail. La disposition de la salle compte. On se réunit autour de tables sur lesquelles sont disposés des plans en cours d’élaboration pour lire et comprendre les orientations prises sur le site avant même qu’elles ne soient arrêtées définitivement. Le plan est difficile à lire, le site n’est pas facile à comprendre. Il faut donc que chacun puisse en prendre la mesure, cheminer ensemble et faire que la fabrique de la ville devienne un acte public.

Le projet est une démarche ouverte. Ceci est vrai du programme, comme de la connaissance et de la reconnaissance du site, ou de la préparation des premiers marchés de travaux. Ce que nous mettons en œuvre, c’est un projet ouvert au public comme les chantiers qui suivront.

Une prise de position culturelle

Tandis qu’il m’annonçait que nous avions remporté le projet de
Manufacture-plaine Achille, Nicolas Ferrand qui dirige l’établissement public me dit : « Ce que vous nous avez proposé, c’est une démarche culturelle, dans son acception large, pas dans le sens restreint que ce mot prend lorsqu’il désigne le domaine de compétence de la rue de Valois. » Je me souviens de notre échange téléphonique il y a un an de cela, le 7 janvier 2009.

L’ambition du projet est d’inventer des façons différentes d’habiter, de travailler, de se déplacer en associant plus fortement les programmes entre eux, y compris au sein de mêmes constructions, sous un même volume. C’est en privilégiant la valeur culturelle que l’on pourra créer une identité de la plaine, un lieu à la fois attractif et convivial.

Si la plaine doit pouvoir accueillir de nouvelles fonctions, de nouveaux usages, c’est qu’elle aura (re)trouvé une spécificité qui, au-delà des normes et des procédures, construira une ville plus libre, plus ouverte et plus accueillante.

L’absence de certitudes sur ce que le projet pourra, dans le temps, susciter comme programmes ou initiatives, et la difficulté qu’il y a à représenter cet avenir avec des images ne produisant qu’une séduction immédiate, constituent une chance à saisir pour élaborer un projet dont le plan guide serait l’outil central, à la fois comme point de départ, méthode de travail et aboutissement.

Si la plaine doit pouvoir accueillir de nouvelles fonctions, de nouveaux usages, c’est qu’elle aura (re)trouvé une spécificité qui, au-delà des normes et des procédures, construira une ville plus libre, plus ouverte et plus accueillante.

L’aménagement et la construction viennent de la compréhension de nos possibilités, des difficultés, de l’état du marché, de la nature des initiatives, des ressources du terrain, en un mot de la situation. Il est nécessaire de comprendre ses aspects économiques, physiques, politiques, les ressentir, les éprouver, s’y confronter, parcourir le site en tous sens, rencontrer, discourir, discuter, provoquer des réactions, converser, écouter, pour dessiner et concevoir, faire, défaire, recommencer jusqu’à trouver dans le flux et le reflux des essais une adéquation entre un état des lieux, un programme et une proposition. Le projet, c’est tout cela.

Le projet n’est pas simplement un service rendu, une manière de répondre à une demande ou l’occasion de montrer ses capacités ou son talent. C’est un engagement à répondre à la question posée : un acte culturel.

L’aménagement et la construction viennent de la compréhension de nos possibilités, des difficultés, de l’état du marché, de la nature des initiatives, des ressources du terrain, en un mot de la situation. Il est nécessaire de comprendre ses aspects économiques, physiques, politiques, les ressentir, les éprouver, s’y confronter, parcourir le site en tous sens, rencontrer, discourir, discuter, provoquer des réactions, converser, écouter, pour dessiner et concevoir, faire, défaire, recommencer jusqu’à trouver dans le flux et le reflux des essais une adéquation entre un état des lieux, un programme et une proposition. Le projet, c’est tout cela.

EPA de Saint-Étienne, maîtrise d’ouvrage
Nicolas Ferrand, directeur général
Éric Bazard, directeur général adjoint
Sébastien Chambe, chef de projet « Manufacture & plaine Achille »
Delphine Lacroix et Ali Mousli, responsables d’opérations

Alexandre Chemetoff & Associés, maître d’œuvre
Alexandre Chemetoff et Patrick Henry, architectes associés
Catherine Pierdet et Alexandre Demachy, paysagistes
Esther Sanz Sanz et Félix Mulle, architectes
Gérard Crozet Ingénierie, consultant économiste

Article paru dans Les Cahiers de l’École de Blois n° 8,
« La ville entière », 2010, p. 44-53.
Ouvrage disponible en librairie.

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