Présentation des Cahiers de l’École de Blois
[2003]

Chilpéric de Boiscuillé

C’est en octobre 1992 que Jack Lang m’a demandé la maquette d’une nouvelle école du paysage. Je m’en souviens parce que je suis sorti de son bureau très heureux d’avoir pu m’entretenir avec le ministre de l’Éducation nationale et le ministre de la Culture, ou plutôt d’avoir eu devant moi non pas un ministre bicéphale mais le ministre du cerveau gauche, celui des sciences et des techniques, des mathématiciens et des scientifiques, et le ministre du cerveau droit, celui de l’espace, de l’intuition et de la perception, des artistes et des musiciens. Réunis dans la même boite crânienne, j’allais pouvoir leur demander « l’impensable ». Une école qui formerait des ingénieurs paysagistes qui ne sépareraient pas le naturel de l’humain comme le disait André Leroi-Gourhan en pointant la déviance des rapports entre l’un et l’autre à l’origine de la maladie des civilisations. Une école où les sens et la raison, les sciences de la nature et les sciences humaines seraient uns et fondus dans l’art et dans la vie.

« Voulez-vous former des ingénieurs artistes ou des architectes ingénieurs ?

– Nous voulons former des ingénieurs en architecture du paysage qui accompagneront la nature, pas très naturelle, avec des outils scientifiques et techniques, des ingénieurs qui interviendront sur le paysage avec humanité et créativité. »

L’idée de paysage s’impose de plus en plus à nos concitoyens comme une préoccupation majeure. Plus qu’une simple nostalgie du paradis perdu, nous y voyons une volonté forte de retrouver ou de construire les particularités de chacun d’entre nous dans un espace de vie devenu planétaire. C’est dire l’importance de l’enjeu. « La conquête de la terre par l’ingénieur est terminée ; il faut maintenant la redessiner », écrivait l’excellent ingénieur Ove Arup. Alors l’ingénieur se fait jardinier. Habitué à dessiner les grands réseaux de voirie du territoire européen, il se mue en « conscience des sites ». Il passe de l’urbanisme de conquête à l’aménagement du territoire.

Le paysage s’est aussi considérablement complexifié en se déplaçant vers les villes où les habitants exigent des élus qu’ils les réconcilient avec leur environnement en leur apportant la nature en ville, l’urbanité dans les cités HLM et de la cohérence dans la périphérie. Les connaissances que l’on demande au paysagiste s’étendent, ses responsabilités aussi. Les places de villes qu’il aménage s’étendent sur un sous-sol truffé de réseaux et les végétaux qu’il installe affrontent des agressions abiotiques qu’il devra prévenir.

L’idée de paysage s’impose de plus en plus à nos concitoyens comme une préoccupation majeure. Plus qu’une simple nostalgie du paradis perdu, nous y voyons une volonté forte de retrouver ou de construire les particularités de chacun d’entre nous dans un espace de vie devenu planétaire.

Mais la ville ne se résume pas qu’à des fonctionnalités. L’éclairage devra faire place à la lumière, l’acoustique et la signalétique à la maîtrise des ambiances, l’urbain à l’urbanité. Le paysage ne constitue plus seulement un enjeu identitaire, il représente, maintenant, un terrain d’activité économique dont la protection nécessite de nombreux emplois. Il est partout un élément important de la qualité de vie de ses populations. Et quand la production, les producteurs et le contexte géographique ne font qu’un, à l’instar du Roquefort, des Causses et de ses habitants combatifs, le paysage prend une dimension politique pour ne pas dire stratégique. En fait je prêchais un converti ; il avait déjà décidé de la nommer « école nationale supérieure de la nature et du paysage » et je retrouvais mes deux lobes du cerveau : nature pour les sciences et paysage pour les arts et la culture.

Les choses sont allées vite au début, la politique aussi. À peine la maquette était-elle acceptée par le ministre d’État que les élections étaient perdues par la gauche. Monsieur François Fillon s’installait à la rue de Grenelle, et moi ?

Je rangeais mon dossier dans une belle boîte d’archives. C’était compter sans le principe de continuité républicaine qui veut que les décisions de l’ancienne équipe continuent à être publiées pendant quinze jours après son départ. Ainsi ai-je pris connaissance du décret portant création de l’École nationale supérieure de la nature et du paysage dans le numéro du Journal officiel du 29 mars 1993. Ce serait un établissement public national à caractère administratif doté de la personnalité et de l’autonomie financière, autrement dit, une école sous la tutelle du ministre de l’Éducation nationale mais avec un statut lui garantissant une grande indépendance. À peine installé, le nouveau ministre confirmait les décisions de Jack Lang et me demandait de ressortir le dossier de sa belle boîte.

Une pelouse du lycée horticole de Blois a été mise à notre disposition par la région Centre pour y construire avec l’aide du conseil général de Loir-et-Cher et la ville de Blois des bâtiments provisoires qui, avec le temps, ont pris des allures définitives.

Notre volonté de ne pas être enfermés dans une « abbaye de Thélème » mais d’être, au contraire, en réseau avec la cité, les collectivités et l’Europe, a été entendue. L’école s’installera dans l’ancienne chocolaterie Poulain, au centre de Blois, en face de la gare SNCF. Un grand hall ouvert sur la ville nous permettra d’organiser des expositions et de prendre une part active au débat sur le paysage.

Neuf ans se sont écoulés. Les enseignants et les professionnels sont venus, un à un, construire une pédagogie pleine de surprises, de rigueur, et de générosité, les personnels administratifs s’y sont associés en se mettant au service de la formation. De nombreux élèves se sont donné le mot en s’inscrivant aux concours d’admission. Les premiers diplômés semblent bien installés dans la vie active.

En attendant d’emménager dans nos nouveaux locaux tellement désirés, il nous a semblé vital de créer Les Cahiers de l’École de Blois pour disposer, au moins, d’un gueuloir. Loin de nous l’idée de répandre la « doxa », il existe suffisamment de publications de qualité sur la place. Notre intention est plutôt de témoigner de toutes les expériences tentées sur le terrain par les étudiants, les enseignants et les jeunes diplômés. C’est donc bien une publication d’école dont il s’agit et si elle fait école, tant mieux !

Premier texte paru dans Les Cahiers n°1, 2003, p. 4-5.
Numéro disponible en vente directe à l’école.
Photo : Le bâtiment de l’ancienne Chocolaterie Poulain,
site de l’École de la nature et du paysage. (C. Le Toquin).
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