L’apprentissage infini

Claude Eveno

Le premier livre qui m’a fait aimer les jardins plus que de raison, c’est La Faute de l’abbé Mouret, le seul Zola que j’ai lu sans me forcer après avoir été forcé d’en lire au lycée. J’en ai puisé une tournure d’esprit qui me fait souvent juger d’un jardin selon sa valeur de cadre idéal pour un instant amoureux. Le Paradou du roman était pour moi, à peine sorti de l’adolescence, une orgie de mots et de phrases à la mesure du plaisir que trouvent les personnages, au sein d’une végétation qui semble chanter pour eux un hymne à la joie du désir. Le deuxième livre, acheté longtemps après, à la fin des années 1970, fut le catalogue d’une exposition que je n’avais pas vue, mais qui me séduisit parce que j’y repérai deux noms, Baltrusaitis et Retz, deux noms reliés à ma fascination pour le surréalisme, le premier à cause de son intérêt pour les anamorphoses, les perspectives dépravées, comme il les nommait, le second parce que le Désert de Retz avait déjà été un pèlerinage fait pendant les années 1960 avec des amis sur les traces d’André Breton. C’est dans cet ouvrage que j’ai découvert un dessin de Brongniart qui m’a mis sur la piste d’une explication possible de l’architecture balnéaire dans la deuxième moitié du XIXe siècle : une réduction bourgeoise du programme des demeures aristocratiques du siècle précédent, la villa tenant lieu de château et de folie à la fois – illusoire ou non, cette approche fut le point de départ d’une étude que je fis pour un ministère et celui d’un goût jamais perdu pour l’histoire des jardins. Ma culture initiale, balbutiante, en matière de paysage, était donc d’emblée tiraillée entre le corps et l’esprit, entre le sensible et l’intelligible, entre Narcisse et Goldmund, le moine et l’artiste qui figurent cette opposition dans le roman éponyme de Hermann Hesse – un roman d’apprentissage qui fut aussi important pour moi que celui de Zola.

Le groupe surréaliste au Désert de Retz en 1960.
La famille Passy, propriétaire du Désert de Retz, devant la Colonne brisée, vers 1910.

Je ne me suis jamais séparé de ces deux livres et ce sont sans doute les derniers qui me resteront quand j’aurai donné ma bibliothèque « paysagère », quelque cinq cents volumes acquis progressivement afin de comprendre et d’enseigner. On pourrait croire que c’est largement suffisant pour saisir ce qui est pour beaucoup une fallacieuse évidence, le paysage. En réalité, toutes ces lectures auraient été un peu desséchées sans les voyages, non seulement ceux qui m’ont mené très loin quand j’étais cinéaste, mais peut-être encore plus, ceux que j’ai faits chaque année avec les étudiants sur les sites qu’ils avaient choisis pour y concevoir un projet de diplôme. Soit une quarantaine de sites, dont la majorité m’étaient inconnus, des lieux que je n’aurais pas songé tout seul à découvrir, souvent d’ailleurs pour de mauvaises raisons qui tenaient à des réputations toutes faites, des clichés et des chromos qui encombrent la représentation des territoires. Mais revoir ce que je connaissais déjà s’est révélé aussi déroutant que la surprise de réalités sans rapport avec les images qui les recouvrent. J’en prends comme exemples deux sites de diplômes de ma dernière année d’enseignement, normalement celle où j’aurais pu me sentir blasé : les carrières de l’Estaque et l’abbaye du Thoronet. À cause d’un ami qui y habitait, je suis allé plus d’une fois à l’Estaque, qui est devenu grâce à cet ami un lieu de méditation et même d’écriture. Quant au Thoronet, c’était avant tout un souvenir affectif lié à la première visite, faite en compagnie d’une femme qui voulait partager ce qu’elle avait auparavant éprouvé dans le cloître du monastère. Deux souvenirs marquants pour le corps et l’esprit, une illustration de plus pour la dichotomie de ma formation. Mais les étudiants ont tout brouillé en me faisant changer de focale.

Bien sûr, je savais l’aspect industrieux de la vie monacale, mais Le Thoronet n’en était pas, à mes yeux, le meilleur exemple. L’abbaye était avant tout un enchantement littéraire et architectural, lecture des Pierres sauvages et visite amoureuse. Je n’avais jamais pensé à relier l’énergie des moines aménageant le territoire pour en exploiter toutes les ressources agricoles à celle des industriels du XXe siècle pour en extraire la bauxite. En pensant « paysage », l’étudiant avait élargi ma vision resserrée du monastère, au point de rendre imaginable une rencontre, voire une conjonction formelle, entre un paysage médiéval à interpréter pour en faire renaître l’esprit et un paysage industriel de carrières à mettre en scène pour profiter de sa grandiose beauté. Sans rentrer dans le détail du projet de l’étudiant, j’insiste ici sur l’arpentage fait en sa compagnie, cette marche dans les ruines d’une campagne cistercienne et dans la poussière rouge du minerai abandonné, sur l’agrandissement géographique de la conscience qui en a pour moi résulté, me faisant voir dorénavant ce que j’avais tant aimé au point d’en faire l’unique foyer du paysage – un foyer tellement intense qu’il effaçait même le paysage —, le voir inscrit dans un paysage. J’étais passé d’une vision centrifuge du Thoronet à une vision inversée, centripète et plus en phase avec la réalité car seule capable de sortir d’une approche strictement patrimoniale pour penser un avenir, un projet.

J’étais passé d’une vision centrifuge du Thoronet à une vision inversée, centripète et plus en phase avec la réalité car seule capable de sortir d’une approche strictement patrimoniale pour penser un avenir, un projet.

L’abbaye du Thoronet les carrières de bauxite. Projet de diplôme de Martin Hennebique, plan-masse, 2013.

Comme les carrières de bauxite, celles de l’Estaque m’étaient inconnues, sinon de loin, en passant à leur pied sur la route des calanques de Niolon et de Méjean. En y suivant une étudiante, je découvrais un point de vue inédit qui bouleversait tout ce que j’avais pu imaginer pour le site, encore une fois une sorte d’inversion du regard. L’intérêt de l’étudiante Elsa Quintavalle (voir infra, p. 32-39) s’était porté sur la matière même des carrières, formes et couleurs, avec l’idée de suivre la leçon des peintres qui avaient peint l’Estaque et d’en faire une stratégie paysagère. L’image des lieux qui était la mienne était depuis longtemps sans espoir. Hors la maison et son jardin où je séjournais là-bas, le paysage de l’Estaque était à mes yeux celui d’une défaite et la ruine toujours plus grande de ce qu’avaient vu les peintres. Mais l’étudiante ne s’était pas épuisée dans la nostalgie et la peinture était pour elle un apprentissage du regard qui pouvait s’actualiser longtemps après les œuvres, et donc une voie efficace pour définir une attitude face à la réalité présente. C’était comme si, pour elle, les tableaux n’avaient pas été là pour montrer le temps qui passe, mais pour ouvrir un temps qui passera, un futur paysage dans un futur libre ou du moins qui affirme une liberté contre les logiques du pire qui menacent l’Estaque. En suivant l’élaboration progressive de son projet, je recevais finalement une leçon d’espoir à propos d’un site qui ne s’y était guère prêté auparavant.

Paul Cézanne photographié par Émile Bernard en 1904.
L’Estaque au début du XXe siècle.

Mais qu’est-ce que « suivre » un étudiant pendant son année de diplôme ? Évidemment agir en maïeuticien, avec prudence, car on se retrouve parfois moins savant, sur un site et un sujet, qu’un étudiant qui y consacre tout son temps et qui vous présente un lieu de projet après avoir déjà parcouru le terrain en tous sens et reconstitué son histoire à travers une foule de documents. Agir aussi soi-même en étudiant, au moins au début de la situation, quand il faut définir une voie de réflexion, un chemin de travail, avant celui du projet proprement dit. Il ne s’agit pas là de se mettre à la place de l’étudiant, mais de susciter un désir de liberté de concevoir en manifestant sa propre liberté à travers une multiplication d’hypothèses, jusqu’aux moins fondées, suscitées par la jubilation des découvertes offertes au professeur par cette situation d’accompagnement. Le plaisir ne m’a jamais manqué face à tout ce qu’on m’a donné en pâture : une île de Nantes sous la pluie battante ; une cité HLM dissimulée en Seine-Saint-Denis ; des jardins ouvriers à moitié abandonnés, abritant des vies secrètes, à Rennes ; un campus scientifique mêlant des vergers de pommes rares avec des espèces de cyclotrons nucléaires à Saclay ; une maison de retraite aussi triste que les autres mais entourée d’un jardin plein de possibilités d’adoucir la vieillesse, à Bondy ; des brutalités hydrauliques dans la basse vallée perdue de la Romanche ; un mélange invraisemblable de champs, de jardins potagers, de voies ferrées, de canaux, de routes et d’autoroutes, dans la banlieue de Barcelone ; une friche de poudrière, entourée de murs et interdite depuis si longtemps qu’on y croise des biches, à Bergerac…

Ce fut bien quarante fois jubilatoire, car déclenchant systématiquement une curiosité nouvelle et m’enrichissant toujours dans un parcours d’enseignant enseigné par ses élèves et leurs paysages. En près de quinze ans, j’ai, grâce à eux, augmenté considérablement ma connaissance du vocabulaire de la langue paysagère, non celle des paysagistes, mais celle que parle plus discrètement le paysage lui-même dans toute la diversité de ses apparences. Appris donc à apprécier des détails végétaux, des pièces morphologiques, des rapports de choses, des ciels bas sur le quelconque et du soleil sur des rebuts d’espace… des patterns non répertoriés dans la culture savante de l’aménagement des jardins et des territoires. Je parle bien d’apprendre, car on est malgré soi – même en étant devenu un « connaisseur » de paysages, c’est-à-dire quelqu’un doté de moyens d’analyse et possédant une mémoire chargée de nombreuses références – pétri d’images réductrices de la question paysagère parce que hiérarchisées. On est en effet instinctivement porté vers le plus spectaculairement beau, le plus vanté par la machine médiatico-touristique qui gère en grande partie le même corpus que celui de l’université, vers le paysage comme spectacle, justement, un critère hautement sélectif qui écarte nombre de sites, en fait une majorité, de la conscience d’un pays, petit ou grand, local ou national. Ce que m’apportaient les voyages estudiantins, c’était d’échapper à cela, de traverser les contrées soi-disant médiocres et d’y éprouver jusqu’à un sentiment d’exotisme joyeux, me rassurant même contre la crainte de Victor Segalen quant à la « décroissance du Divers ».

Anouk Aimée dans Lola, de Jacques Demy, 1961.

Je me souviens du premier travail de diplôme que j’ai accompagné. L’étudiante, Gaëlle Pinier, devenue depuis une paysagiste reconnue, avait choisi le site de l’île de Nantes, où je n’avais jamais mis les pieds tout en la connaissant depuis l’enfance, tant j’avais passé de temps à Nantes depuis mon plus jeune âge, quand il y avait encore le pont transbordeur, et pendant la jeunesse, traînant sur les quais de Loire et dans le passage Pommeraye pour rêver de la Lola de Jacques Demy. Mon souvenir était un mélange d’impressions strictement dues au profil varié de l’île, à son occupation portuaire et industrielle, à son habitat pavillonnaire et collectif, à ses restes naturels – une sorte de foutoir périphérique m’amenant à imaginer tout projet comme un décor de cinéma nostalgique, une synthèse de Lola et de L’Atalante, bien peu pertinente. Gaëlle n’avait pas ce background, évidemment, et son regard sur le site lui venait d’une étonnante manière d’en faire la découverte : des promenades en tous sens, un arpentage de l’île systématique, ce qui est banal, mais en ramassant des choses par terre, d’infimes morceaux du territoire qu’elle utilisait ensuite comme matériaux pour faire une maquette de toute l’île, non seulement très belle, ainsi qu’on peut l’imaginer, mais surtout très efficace pour se doter d’un regard assez singulier pour inventer le chemin d’un projet – un regard sur le sol avant de lever les yeux vers son entour et donc une sorte de guide paysager par les détails des surfaces où l’on pose les pieds. Ce que je découvrais en sa compagnie était une façon de voir et faire du paysage à partir d’un point de vue si resserré d’abord qu’on échappait à la vision globale et à tous les formatages qui l’encombrent. J’ai vu autrement l’île de Nantes, en fait j’ai commencé à la voir et j’ai adhéré sans réticence au projet de Gaëlle qui limitait l’espace de son projet au tour de l’île, sur une étroite bande de territoire, soignant les aventures du sol, de la marche et du regard orienté par une sensibilité pédestre. Elle était sûre d’enclencher ainsi une autre appréhension du site, et moi aussi, grâce à elle, à sa méthode et grâce au « nouveau » paysage que cette méthode m’avait révélé.

Le pont transbordeur de Nantes, détruit en 1958, carte postale antérieure à 1914.

Ce que je découvrais en sa compagnie était une façon de voir et faire du paysage à partir d’un point de vue si resserré d’abord qu’on échappait à la vision globale et à tous les formatages qui l’encombrent. J’ai vu autrement l’île de Nantes, en fait j’ai commencé à la voir

L’île de Nantes, dessin de Gaëlle Pinier, extrait de son projet de diplôme, 2001.

En 2007, j’ai accompagné un travail qui, sans que le sache au départ l’étudiante, Raphaëlle Chéré, elle aussi maintenant paysagiste reconnue, me concernait de très près : un projet de jardin thérapeutique dans une maison de retraite où finissait la vie de nombreuses personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. C’était un an avant le décès de ma mère, frappée depuis déjà quelques années par la même maladie. Ma mère n’était pas en maison de retraite, mais chez elle, au milieu d’un grand jardin dont je ne mesurais guère ce qu’elle y puisait pour lutter contre l’adversité. Je l’ai compris peu à peu en suivant les réflexions de Raphaëlle face à tout ce qu’elle repérait de problèmes intriqués de la médecine et du jardinage. C’était, en toute logique, des questions liées à la mémoire qui interrogeaient celle-ci dans sa relation au monde végétal. Médecins et jardiniers avaient travaillé, surtout à l’étranger, sur les capacités des plantes à entretenir ou réveiller la mémoire, mais l’arrivée du paysagiste dans ce domaine était une nouveauté. Raphaëlle m’a montré à quel point le rapport des malades avec les plantes devait être pris dans une esthétique paysagère et qu’il y avait dans l’agencement, le dispositif, bref le paysage d’un jardin, un support de remémoration aussi important que les détails végétaux pris isolément. En fait, la sorte d’ethnobotanique appliquée que les médecins avaient produite à propos de la « communauté » des malades atteints de maladie d’Alzheimer n’avait de sens qu’à être utilisée dans un projet d’ensemble, un jardin, un paysage. Je comprenais ainsi comment ma mère avait pu ralentir les effets de sa maladie par ses promenades quotidiennes au jardin devenu boîte à madeleines et madeleine lui-même. Et j’apprenais également à regarder tout jardin sous cet angle-là, comme une composante non négligeable de ses raisons d’exister.

Je pourrais multiplier les exemples de ce lent et constant « complément de formation » du professeur par ses élèves à travers la découverte des paysages, de leurs paysages. Mais je terminerai en n’en ajoutant qu’un seul, qui fut pour moi très étonnant, car il s’agissait de voir l’invisible dans un paysage. L’étudiante, Élise Dauchez, avait décidé de faire un projet sur la pente d’une colline agricole en Picardie, afin de révéler un sous-sol archéologique gaulois abondamment fouillé, mais recouvert ensuite et impossible à remettre de nouveau à l’air libre. À force de regarder le site en ayant à l’esprit la carte des vestiges de la petite ville enfouie là, nous avions l’impression de voir les ruines imprimées sur les labours, un sol retourné, détrempé, une terre grasse et monochrome qui se prêtait à l’imaginaire comme une surface libre. Le blé ou le maïs semblaient loin, oubliés, au profit d’une possibilité d’apparition sans règles, ni économique, ni patrimoniale, ni paysanne, ni culturelle. Et finalement, c’est cette ivresse de liberté qui a soudain dévoilé le chemin à suivre. Je me souviens du moment où nous étions là, Élise et moi, sous la pluie, les pieds dans la boue – incertains de trouver des réponses à des demandes inconciliables et se demandant ce que pourrait bien apporter un paysagiste –, quand nous nous sommes arrachés au poids qui empêchait de penser et que la plus grande audace possible nous est apparue nécessaire : un recours à l’art, à cette sorte d’art qui avait pris la terre elle-même comme support et matériau, au land art, mais avec des moyens de paysagiste, de jardinier manipulant les végétaux comme une langue commune entre archéologues et paysans, entre touristes, conservateurs et gens du lieu.

Vue d’ensemble du sanctuaire de Ribemont-sur-Acre, 1973.

Cet exemple est pour moi tout le contraire des autres. Autant les premiers me prouvaient la capacité des paysages à enseigner le regard et presque ainsi porter en eux un projet à deviner, révéler – Lancelot Brown parlait de paysages « capables » et dut à cela son surnom, Capability Brown —, autant le dernier me rappelle qu’il est parfois légitime, sans aller jusqu’à se sentir « maître et possesseur de la nature », de bouleverser l’apparence des choses et de se mesurer quand même à ladite nature. Ne dit-on pas que l’art est ce que la nature n’a pu œuvrer elle-même ? En inventant un jeu végétal à grande échelle, négociable avec les paysans, c’est-à-dire réalisable avec des tracteurs et autres machines agricoles, Élise s’était glissée dans la posture des artistes américains des années 1960 et 1970, ceux qui disaient pratiquer un earth art avec des pelleteuses et des camions en produisant des modifications géographiques à la hauteur de forces telluriques – une finalité qui peut sembler à première vue marginale pour un paysagiste. La leçon fut pourtant, à mes yeux, essentielle et déterminante pour la suite de mon enseignement, dans la mesure où je commençais alors à m’inquiéter d’une réduction fonctionnelle du métier. Non seulement celle qu’on connaît depuis longtemps, simple fruit de la bêtise ou du cynisme, et qui consiste à n’envisager que des missions « décoratives » pour cacher les médiocrités de l’urbanisme contemporain, mais surtout celle qui provient insidieusement de l’augmentation constante des cahiers des charges établis pour un parc ou un simple jardin, cette écrasante multiplicité des usages décidés à l’avance pour ce qui était traditionnellement plus ouvert à l’indéterminé. Le projet d’Élise me désignait soudain, par sa liberté, une nécessité de résistance des paysagistes à trop de définition des territoires qu’on leur confie, afin de ne pas avoir seulement à produire, comme c’est de plus en plus souvent le cas, un simple dispositif d’articulation de pratiques diverses sur des espaces réglementés et préfabriqués. Et de fait, mes dernières années d’enseignement ont été de plus en plus marquées par le désir de transmettre une liberté de penser en même temps qu’une somme de connaissances.

Le dessin justement est chaque fois issu d’une vision globale nouvelle, une vision politique qui refuse un monde pour en inventer un autre.

Mais comment enseigner la liberté ? Par l’exemple ! Et en particulier par des exemples historiques, ou plus précisément par une façon orientée de les présenter. C’est-à-dire en insistant sur les ruptures de l’histoire des formes et en montrant la force d’arrachement à ce qui précède dans toute apparition d’un dessin inédit. Expliquer à quel point le dessin justement est chaque fois issu d’une vision globale nouvelle, une vision politique qui refuse un monde pour en inventer un autre. Le faire avec ce qu’on sait, les Italiens de la Renaissance passant « d’un monde clos à l’univers infini », les Anglais du XVIIIe siècle rejetant l’absolutisme pour fonder une monarchie parlementaire ou les Français du XIXe n’arrêtant pas de faire la révolution. Le faire aussi avec ce qu’on a connu, en témoin direct et acteur parfois, l’esprit de subversion des années 1960 et 1970, à l’âge des élèves d’aujourd’hui, et transmettre ainsi les héritages de la révolte et la révolte en héritage, pour être à la hauteur de ce qu’ils sont : ceux qui vont commencer à changer le monde en changeant des paysages.

Article paru dans Les Cahiers n°12,
« L’enseignement du paysage », 2014, p. 16-21.

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