Thibaut Cuisset
nous a quittés
Jean-Christophe Bailly
Alors qu’il s’agissait d’inaugurer la présence de la photographie dans Les Cahiers de l’École de Blois, rien ne fut plus spontané que de se tourner vers Thibaut Cuisset : d’une part il venait de réaliser toute une série de photos montrant les paysages de la Loire – fleuve qu’il aura fini par longer tout entier, de sa source à son embouchure –, d’autre part il était évident qu’à travers son regard s’indiquait une approche exemplaire et rare du paysage, à l’opposé de tout effet comme de tout pathos identificatoire. À cette publication dans le numéro 1 des Cahiers s’ajouta celle de saisissantes images des nouveaux grands ensembles de Moscou dans le numéro 8, paru en 2010 et intitulé La Ville entière. Le 19 janvier 2017, Thibaut Cuisset est mort, à l’âge de cinquante-huit ans. Si son travail sur le paysage français (dont une grande partie sera publiée prochainement chez Steidl) était bien avancé, ce sont quantité d’autres « campagnes », ainsi qu’il les appelait, reprenant le terme de Claude Monet, qui restent inachevées – celle des paysages américains, notamment, qu’il avait commencé d’explorer systématiquement. La perte est immense, car Thibaut Cuisset, scrupuleusement, patiemment, à l’écart de tout tintamarre, était parvenu à une étonnante maîtrise. Il rendait aux paysages les plus familiers le souvenir de leur étrangeté, et c’est sans aucun trucage qu’il parvenait à libérer intégralement la pesanteur énigmatique du plus banal comme du plus lointain. Ses pas l’auront porté très loin, mais entre les images de terres lointaines comme l’Islande ou la Namibie et celles, par exemple, de la baie de Somme ou du pays de Bray, les différences, évidentes, comptent moins qu’une sorte d’égalité dans la puissance avec laquelle les forces formatrices du paysage semblent venir s’apaiser pour produire une élongation méditative infinie. Les Cahiers tenaient à rendre hommage à ce très grand artiste dont ils publièrent à deux reprises quelques images.