Vivre le Bout du monde
face aux risques torrentiels

Faire du risque naturel un atout pour le territoire

Flora Guilloux

Le texte ci-dessous est issu d’un travail de fin d’études soutenu à l’École de la nature et du paysage. Cette page n’inclut qu’une partie des documents graphiques publiés dans la revue papier.

« Avez-vous mis un pied au Bout du monde ?
Senti sous vos semelles que vous veniez de basculer dans cet univers
où s’exprime ce que les éléments ont
de force et de ténacité, de courage et d’obstination1 ? »


À Sixt-Fer-à-Cheval, éprouver le Bout du monde, c’est percevoir l’espace là où il semble finir. Ce Bout du monde appelle le désir et la rêverie. Le corps se heurte à une limite physique, infranchissable, où seul l’esprit peut s’aventurer. Cependant, il n’est pas une fin, mais une naissance : ici, la rivière naît. Le Giffre est le fruit de l’eau des glaciers et des sommets de schiste et de calcaire qui s’effritent depuis des millions d’années. L’eau puissante des torrents charrie, à travers de larges lits, les matériaux solides arrachés aux parois des falaises.

Parfois, des laves torrentielles, telles des laves volcaniques, descendent les chenaux étroits dans un vacarme assourdissant pour s’étaler sur plusieurs mètres d’épaisseur dans les fonds de vallées anthropisées. Les hommes les ont craintes, mais aujourd’hui ils s’en protègent derrière des digues et des ouvrages qui dissimulent le paysage naturel des rivières en tresses. Dans son délire de sécurité, l’homme s’est dressé contre son environnement. Il commence seulement à prendre conscience de ses erreurs, mais il est aujourd’hui difficile de faire marche arrière et de promouvoir une nouvelle culture du risque.

Le risque torrentiel a guidé ma réflexion tout au long de mon travail de fin d’études, mais je me suis aussi attachée à lire et à comprendre les composantes d’un paysage qui m’est précieux. Ce travail a fait naître une passion et un réel engagement pour l’avenir de ces milieux montagnards. Il est possible d’œuvrer pour la préservation et la mise en valeur de ces territoires, autrement que par le développement des stations de sports d’hiver, fuite en avant encouragée par les aménageurs et promoteurs.

Faut-il résider au Bout du monde ?

Selon Jean-Luc Brisson, artiste plasticien, « la singularité de l’instant disparaît avec le séjour ou l’installation au Bout du monde ». Y résider ou y demeurer serait comme vivre n’importe où ailleurs, les expériences extraordinaires deviendraient plus ordinaires.

Cependant, le séjour de courte durée peut être une manière d’explorer ce paysage et ses horizons à toute heure du jour et de la nuit. J’y retourne régulièrement et à chaque fois je le perçois différemment en le voyant évoluer, parfois brusquement. La confrontation me procure toujours une émotion forte, produite par le bruissement de l’eau et le choc sourd des blocs rocheux qui se brisent au pied des falaises.

Du paysage sauvage au paysage soumis

Les glaciers comme des sculpteurs de paysage ont arraché et transporté les matériaux issus de l’érosion de l’eau, du vent, de l’alternance du gel et du dégel et des avalanches. Ils ont laissé de nombreuses traces dans le paysage, élargi les vallées, aiguisé les arêtes et affiné les sommets. Ces vallées en auges témoignent du travail du glacier dans une roche dure. Les roches les plus résistantes ont formé des verrous glaciaires comme celui des gorges de Tines marquant le seuil étroit entre la commune de Sixt-Fer-à-Cheval et celle de Samoëns.

À première vue naturel et sauvage, ce paysage a été largement anthropisé. La commune de Sixt-Fer-à-Cheval est habitée depuis le XIIe siècle et est devenue le premier territoire pastoral de Haute-Savoie. Les hommes ont fait face aux eaux tourmentées des torrents en
s’installant à proximité tout en s’adaptant. L’énergie inépuisable et gratuite des torrents était valorisée pour la transformation des produits agricoles. Moulins et scieries s’implantaient directement au bord des cours d’eau. Le territoire n’est pas dissociable de l’activité humaine ni du risque torrentiel. Il fallait ainsi préserver un équilibre entre une pression démographique toujours plus forte, l’espace agricole disponible et un risque qui ne disparaîtra jamais. Mais au fur et à mesure, les hommes ont empiété sur les zones d’expansion des rivières, oubliant leurs vulnérabilités face aux risques torrentiels.

Il fallait ainsi préserver un équilibre entre une pression démographique toujours plus forte, l’espace agricole disponible et un risque qui ne disparaîtra jamais. Mais au fur et à mesure, les hommes ont empiété sur les zones d’expansion des rivières, oubliant leurs vulnérabilités

Aujourd’hui, le territoire est fortement contrasté entre de vastes étendues inhabitées et d’étroites vallées anthropisées. Les versants et plateaux enherbés conservent leur aspect naturel et pastoral. Seuls les sommets, purement minéraux, sont très peu visités. Les fonds de vallées sont « fertiles » à la fois pour l’agriculture, la vie économique, l’habitat et les voies de communication. Cependant, l’urbanisation grignote de plus en plus les pieds de versants et les lits majeurs des rivières et torrents, qui sont enserrés entre de hautes digues. On observe une réelle perte d’identité architecturale des bourgs car les nouvelles constructions copient le style des chalets d’alpage. Les versants les plus propices à la pratique du ski alpin ont été largement remodelés pour accueillir et promouvoir l’industrie touristique. Ainsi les transformations rapides et anarchiques des territoires montagnards ont bouleversé les milieux naturels et mis à mal leur identité rurale.

Le risque torrentiel, qu’est-ce que c’est ?

« Le premier souvenir que j’ai de cette vague, c’est le bruit… comme un train, c’était toute la montagne qui s’entrechoquait » (témoignage d’un habitant de Contamines-Montjoie après la lave torrentielle d’août 2005).

Le risque est un aléa naturel couplé à des enjeux humains. Autrement dit, si l’homme n’est pas présent et ne subit aucun dommage, il n’y a pas de risque.

Ce sont des phénomènes qui peuvent être extraordinaires. La peur et l’émerveillement sont deux sentiments contradictoires, que j’ai pris en compte pour construire le projet. Comment magnifier l’aléa et protéger les populations qui peuvent y être soumises ? La réponse à cette question est le sujet de mon projet.

Les aléas torrentiels sont des crues à très fort débit et des laves chargées à l’excès de matériaux solides, sable et blocs pouvant dépasser la taille d’un véhicule. Elles deviennent imprévisibles et très destructrices lorsqu’elles atteignent les fonds de vallées anthropisés. Elles sont déclenchées par un apport d’eau intense et soudain au sommet, qui entraîne les matériaux érodés. C’est le plus souvent au printemps, à la fonte des neiges, et en été, lors d’orages estivaux, qu’elles sont susceptibles d’être le plus importantes, or c’est aussi la période de forte fréquentation du grand site du cirque du Fer-à-Cheval. De plus, avec les changements climatiques, on peut supposer que les aléas seront plus destructeurs et plus fréquents. C’est la fourniture en matériaux et la vitesse d’érosion qui deviendront les facteurs limitant le déclenchement de laves torrentielles.

Les deux phénomènes, crue et lave, ne sont pas dissociables. Ce sont les crues qui permettront de retrouver un état d’équilibre dans les lits mineurs des torrents perturbés par les laves, en charriant les matériaux en excès. Cet apport brutal sera susceptible de perturber la rivière en aval jusqu’à causer des débordements et de nouveaux risques.

En perturbant les milieux naturels, les activités et les constructions humaines ont été des facteurs aggravants. Des ouvrages toujours plus hauts et plus résistants ont été construits pour « dompter » les torrents. Grâce à ceux-ci, nous nous sommes installés toujours plus près du danger, jusqu’à l’oublier. La conscience du risque indispensable pour une gestion durable des territoires montagnards est à reconquérir.

nous nous sommes installés toujours plus près du danger, jusqu’à l’oublier. La conscience du risque indispensable pour une gestion durable des territoires montagnards est à reconquérir.

Facteurs naturels et anthropiques déclenchant l’aléa et aggravant les vulnérabilités.
Un torrent destructeur

Le torrent du Nant-des-Pères, autrefois le « Nant-des-Pierres », est caractéristique d’un torrent à laves. Son bassin de réception lui fournit des matériaux en grande quantité, qui se concentrent d’abord dans un entonnoir. Après de fortes pluies, il se vide et les bouffées de laves successives descendent dans les gorges profondément entaillées, arrachant encore un peu plus les falaises. Dans le chenal d’écoulement elles érodent violemment les berges puis s’étalent là où une rupture de pente intervient et où se concentrent les enjeux : la route d’accès au grand site, le restaurant, le camping, le parking…

Après l’événement, les arbres des berges changent de couleur et meurent. Les nombreuses souches encore visibles dans le lit du torrent témoignent des laves torrentielles de l’été 2003.

Des enjeux pour le Bout du Monde

Je me suis intéressée aux ressources territoriales connues et intégrées par tous pour ensuite définir des ressources potentielles, notamment l’aléa torrentiel. Pour qu’une ressource soit valorisée, elle doit être reconnue collectivement par les habitants. Cependant, il est encore difficile de faire admettre qu’une lave ou une crue peut être intéressante sur le plan esthétique, par la mise en scène du paysage pendant et après l’événement, mais aussi, sur le plan économique, parce que l’événement devient un spectacle et attire de nouveaux visiteurs.

Pour changer les comportements et promouvoir une nouvelle conscience du risque il faudra s’adapter, tout en respectant les dynamiques naturelles des rivières et torrents ; utiliser le risque torrentiel comme un moteur de développement territorial. Enfin, il faudra affirmer l’identité « Bout du monde » de Sixt-Fer-à-Cheval pour valoriser la forte naturalité et la monumentalité du territoire.

Résister, être résilient, se retirer et laisser faire

Face à un risque torrentiel caractérisé (intensité, fréquence, répétition de l’aléa et reconnaissance des vulnérabilités), le choix de stratégies d’aménagement dépendra de l’échelle spatiale (site ou territoire) et de l’échelle temporelle (mesures d’urgence, de précaution, ou de résilience). On constate que l’approche réglementaire de la gestion des risques s’est faite selon le principe de précaution. Nous n’avons pas anticipé les risques, mais réagi face à des situations catastrophiques, c’est le cas des plans de prévention des risques (PPR) dont le rôle est de cadrer et de décerner des autorisations d’urbanisme et non d’intégrer le développement du territoire en lien avec le risque.

Bassin de réception et entonnoir de Tête-Noire, après les laves torrentielles de 2003. « Nant » a pour origine un mot latin, nantus, qui signifiait torrent.

Ainsi, à la suite d’une lave torrentielle dans le Nant-des-Pères en 1989, les services de l’État ont rapidement construit une digue visant à protéger le camping communal. Cette digue construite dans le lit majeur, mais très proche du chenal d’écoulement, a été rudement mise à mal à chaque crue. Depuis 1990, elle a fait l’objet de plusieurs reconstructions, mais est toujours en très mauvais état.

La première étape du projet a été de choisir une stratégie d’aménagement durable pour chaque site de projet.

Négation du risque, un torrent oublié

Le torrent du Clévieux a toujours connu des aléas torrentiels, c’est pourquoi il a été largement « corrigé ». Des ouvrages de protection ont permis de ralentir les crues et de retenir les laves en amont de la ville vulnérable. En aval, sur son bassin de déjection, les quartiers résidentiels de Samoëns se sont développés en faisant abstraction du risque. Mais le torrent menace toujours les habitants, leurs maisons sont construites à un niveau inférieur à celui du lit du torrent. La confluence du Giffre et du Clévieux est tout aussi endiguée, protection illusoire pour les nouvelles infrastructures touristiques. Le Giffre en tresses déambulait autrefois dans un lit beaucoup plus large et sa confluence avec le Clévieux était propice à l’implantation de milieux naturels alluviaux, aujourd’hui sénescents.

La surprotection a fait oublier les aléas, mais rappelons qu’aucune digue n’est insubmersible. Tenir compte de cela éviterait des erreurs comme la construction d’infrastructures touristiques, scolaires et de secours en zones inondables. Aujourd’hui, la ville de Samoëns est relativement bien protégée des laves torrentielles, mais peut à tout moment être victime d’une forte crue, d’autant plus qu’on assiste actuellement à une densification des quartiers mitoyens au torrent.

Reconsidérer l’épaisseur du Clévieux

Sur le site, la présence de l’eau n’est pas perceptible. C’est seulement en traversant le pont qu’on aperçoit les eaux du Clévieux. Vers l’amont, le torrent s’écoule entre deux murs de 2 mètres de hauteur qui retiennent la digue, utilisée comme une large route qui dessert les quartiers résidentiels. En aval, c’est le même profil, légèrement plus, large laissant apparaître des blocs de pierre d’où les merles d’eau (cincles plongeurs) plongent pour se nourrir.

Mon projet vise à réaffirmer la présence du torrent en ouvrant les digues, lorsque cela est possible, pour y intégrer des chemins, axes piétonniers qui rejoindront les deux versants. L’aménagement devra permettre de renouer le contact entre les habitants et le torrent tout en augmentant la section mouillée, c’est-à-dire la surface disponible pour l’écoulement d’une forte crue. De l’amont à l’aval, l’enclave s’ouvrira en fonction des usages, jusqu’à disparaître totalement à la confluence. Plusieurs bras s’y dessineront entre les îlots, certains seront hors d’eau en période d’étiage et se rempliront lors des crues.

En respectant les dynamiques naturelles, l’aménagement vise à s’adapter aux aléas et aux vulnérabilités urbaines. Il faudra réinventer un quartier « sinistrable » résilient, où les habitants pourront continuer leurs activités urbaines, vivre et se déplacer au sec. On ne supprimera jamais l’aléa.

L’ouverture des digues devra permettre le respect de la largeur du lit mineur. Le Clévieux est en état d’équilibre entre son transport solide et liquide. Ainsi, il est indispensable de conserver le débit existant jusqu’à la confluence pour ne pas créer d’embâcles par accumulation de matériaux.

En cas de débordement ou de rupture de digue, la ville sera résiliente, capable de s’adapter et de retrouver l’état d’équilibre précédant l’événement. Les accès seront surélevés, bordés de noues. Les anciens réseaux de béalières (ruisseaux utilisés pour les moulins, scieries…) permettront l’évacuation rapide des eaux. Toujours en eau, elles accompagneront les randonneurs, valorisant l’omniprésence de l’eau. Les noues y seront connectées et pourront conduire rapidement l’eau des fortes précipitations. En limite de propriété, elles remplaceront les haies habituelles des quartiers résidentiels.

La confluence sera magnifiée par la reconquête des milieux naturels alluviaux. Les grèves, les saulaies, les aulnaies blanches borderont à nouveau le Giffre. Elles sont aujourd’hui menacées par l’endiguement systématique des rivières de Haute-Savoie.

Haut lieu du Bout du Monde soumis aux risques

Le paysage grandiose forme un écrin bordé de hautes falaises de 900 mètres. Les ruisseaux d’altitude retombent en cascades et se réunissent en torrents puissants. Le cirque du Fer-à-Cheval et le fond de la combe sont deux sites monumentaux qui, à ce jour, ne sont pas clairement différenciés. Les visiteurs, plus de 250 000 par an, pénètrent en voiture et stationnent au cœur du cirque. Ils s’en détournent rapidement pour randonner sur le sentier en fond de combe. Les trois torrents du cirque, Nant-des-Johatons, Nant-des-Pères et Combe-Saillet sont rapidement traversés. Personne ne se doute qu’ils peuvent devenir dangereux. Pourtant, le paysage tourmenté du Nant-des-Pères questionne : le site est-il en travaux ? Les précédentes laves torrentielles de 2003 ont encouragé les aménageurs à corseter le torrent entre deux digues restées nues. Elles protègent l’accès au site et le camping communal.

Une incohérence existe entre le site touristique et le site soumis aux risques. C’est la raison pour laquelle les démarches commencées auprès de l’Unesco pour une labellisation « grand site » se sont interrompues.

Théâtraliser l’aléa

Le contexte du diplôme de fin d’études m’a permis de proposer une idée forte et concrète pour réinventer le paysage au cœur du site et ainsi en faire le point d’orgue d’une découverte du Bout du monde. En effet, Sixt-Fer-à-Cheval possède trois grands sites, la cascade du Rouget, les gorges de Tines et le cirque du Fer-à-Cheval. Son bourg devra s’affirmer comme centralité pour profiter du nouvel aménagement.

Dans ce site naturel, en tête de bassin-versant, il sera préférable de supprimer et décaler les vulnérabilités (route d’accès et camping). Les matériaux des laves pourront s’étendre et être maintenus sur une large plage de dépôt, puis progressivement repris et transportés dans le Giffre par les crues. Les deux torrents déambuleront librement dans cette nouvelle clairière minérale. Le nouvel ouvrage de protection passif s’accompagnera de belvédères et de sentiers protégés, lieux de sensibilisation aux risques. Grâce à l’enregistrement sonore des événements, il sera possible de faire revivre l’aléa au sein de lieux de mémoire, telle l’ancienne abbaye de Sixt.

Le nouvel ouvrage de protection passif s’accompagnera de belvédères et de sentiers protégés, lieux de sensibilisation aux risques. Grâce à l’enregistrement sonore des événements, il sera possible de faire revivre l’aléa au sein de lieux de mémoire, telle l’ancienne abbaye de Sixt.

La contrainte deviendra une nouvelle ressource qui témoignera de l’identité du grand site du cirque du Fer-à-Cheval. Les laves torrentielles seront un atout et la plage de dépôt, un élément de projet. La sensibilisation aux risques et l’utilisation de lieux de mémoire dans un paysage tourmenté créeront un nouvel intérêt touristique pour le développement de la commune.

La plage de dépôt vue depuis le belvédère 1.
Le souvenir de l’aléa passé est mis en scène par le rocher taillé.
Valoriser les anciens ouvrages

Deux merlons de taille imposante protègent la clairière du restaurant. Les blocs de plusieurs tonnes descendus avec les éboulements de 2002 et portés par les laves de 2003 n’ont pas pu être évacués. Ils ont été réutilisés en 2008, par le service de restauration des terrains de montagne (RTM, service de l’ONF), pour recréer un piège à blocs et stopper d’éventuels écroulements. Ces ouvrages, colossaux, ont une qualité paysagère indéniable ; faut-il les dissimuler, interdire leur accès ou les mettre en valeur ?

Les aménagements réalisés il y a une dizaine d’années sont le fruit de réflexions menées dans l’urgence. Il fallait alors intervenir pour protéger les visiteurs sans pour autant remettre en cause les vulnérabilités au sein d’un projet global d’aménagement (camping, route d’accès).

À présent, les deux merlons s’enfrichent et subissent des dégradations liées aux crues du Nant-des-Pères. Le projet vise à les mettre en valeur sans pour autant les consolider, car il me semble peu judicieux de résister encore et toujours aux aléas naturels. Les laves torrentielles se déposeront en aval, sur la plage de dépôt. Il faudra néanmoins protéger les visiteurs qui se déplaceront dans le cirque. Les sentiers devront être aménagés sur les versants, à mi-hauteur, et non à proximité des torrents. Ces ouvrages offrent des points hauts qu’il est possible de transformer en belvédères sans travaux conséquents et coûteux. C’est par des aménagements minimalistes que les actions du paysagiste devront faciliter l’accès, mettre en sécurité les visiteurs et valoriser la forte naturalité du site. Les ouvrages parlent d’eux-mêmes, ils questionnent sur l’aléa, le risque, les stratégies choisies et les interventions techniques.

Développer et maintenir le paysage pastoral

L’ouverture de la clairière minérale s’inscrira dans une ouverture plus large, permettant de retrouver des espaces pastoraux. Autrefois, chaque terrain plat était valorisé pour le pâturage et la production de foin. Les paysans et leurs familles voyageaient toute l’année sur le territoire communal depuis la plaine du bourg pour rejoindre leurs parcelles à mi-altitude, à proximité des hameaux saisonniers (cirque du Fer-à-Cheval) et des alpages gérés collectivement. Il fallait maintenir un état d’équilibre entre la démographie et l’espace agricole disponible. En cas de surpopulation, les habitants émigraient.

Ces pratiques pastorales font partie du patrimoine communal. Ainsi, la reconquête des anciennes pâtures est-elle un enjeu important. Un troupeau d’intérêt collectif, composé d’ovins et de caprins, débroussaille actuellement le fond de la combe qui, depuis la déprise agricole, s’est largement reboisé.

Séjourner au Bout du monde

Afin de réduire les vulnérabilités, les enjeux à proximité du Nant-des-Pères seront déplacés. Le camping restera dans le cirque du Fer-à-Cheval et proposera d’autres offres, des cabanes en hauteur et des tentes en clairière. L’architecture du bâtiment d’accueil du grand site et du camping sera modulable, avec peu d’emprise. Son toit-terrasse permettra d’accueillir un restaurant valorisant les produits locaux.

Vue, depuis l’habitation insolite, sur les falaises du cirque et le bassin de réception du Nant-des-Pères.
Réinventer le chalet d’alpage

Comme le camping, le parking actuel devra être déplacé, afin de supprimer l’accès des automobilistes au lit des torrents. Le terrain plan sera valorisé en parcelle agricole et accueillera des habitations insolites. De jour comme de nuit, elles offriront une nouvelle vision du paysage monumental du cirque et de ses aléas pour s’immerger dans une nature grandiose.

Ce projet m’a donné envie de poursuivre mon travail en collaboration avec les acteurs de la gestion des risques naturels. J’ai compris qu’il devenait indispensable d’engager de nouvelles stratégies face à ces risques, en utilisant les aléas et les mesures de prévention comme des ressources et des atouts. Accepter et s’adapter permettra de faire naître de nouvelles formes et pratiques urbaines moins génériques et mieux ancrées dans le contexte.

Je retiens trois mots clés : résilience, cohérence, gouvernance. Pour le paysagiste, il sera question de promouvoir des projets globaux, susceptibles de réduire les vulnérabilités et de permettre de retrouver un état d’équilibre après le passage des crues torrentielles. Une démarche pluridisciplinaire, en collaboration avec les acteurs et experts du risque, est nécessaire pour croiser les visions et les ressentis en vue d’une conception de projet innovante, libérée du poids des normes et réglementations. Enfin, le choix de la bonne échelle spatiale permettra une stratégie globale et partagée visant à rendre les territoires plus solidaires.

Diplôme soutenu en juin 2016.
Article publié dans Les Cahiers n° 15, « Vous avez dit paysage ? », 2017, p. 46-55.
Numéro disponible en librairie.
Couverture : Cirque du Fer-à-Cheval et vallée du Giffre depuis la dent de Verreu, Sixt-Fer-à-Cheval, Haute-Savoie, automne 2015 (© Flora Guilloux).

  1. Les Carnets du paysage. Bout du monde, n°16, Arles/Versailles, Actes Sud/ENSP, 2008.
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