Enjamber le paysage de l’échange

Vincent Poilleux

Le texte ci-dessous est issu d’un travail de fin d’études soutenu à l’École de la nature et du paysage. Cette page n’inclut qu’une partie des documents graphiques publiés dans la revue papier.

Pour lutter contre l’étalement urbain, la métropole parisienne s’inscrit dans un processus de densification. Cette construction de la ville attire l’attention sur des sites en marge du développement urbain, notamment les espaces résiduels générés par les infrastructures de transport. En 2006, les architectes Tomato s’intéressent à la transformation du boulevard périphérique en boulevard urbain. Plus récemment, le projet Paris-Rive gauche prévoit la couverture de 26 ha de voies de chemin de fer pour la construction d’un programme mixte. En somme, de nombreux projets urbains traitent aujourd’hui de la question des infrastructures, mais ils sont souvent centrés sur un type d’infrastructure et ils s’insèrent dans les tissus les plus denses au prix foncier élevé.

Pourtant, la relation entre l’urbain et les infrastructures est plus brutale encore aux seuils des métropoles, où la concentration et la superposition sont si importantes que l’on peut dire qu’un paysage spécifique émerge : le paysage de l’échange.

On retrouve ce paysage de l’échange dans le secteur de Roissy, ou du port de Gennevilliers, mais aussi dans le sud parisien qui concentre des réseaux structurants (A 86, Seine, A 5, RER C et D, grande ceinture) et des enclaves liées au transit des hommes et des marchandises (aéroport d’Orly, marché international de Rungis, port de Bonneuil-sur-Marne, aire de triage de Villeneuve-Saint-Georges).

J’ai orienté mon travail de fin d’études vers ce paysage de l’échange et j’ai analysé la corrélation entre ce territoire et les infrastructures qui l’irriguent. Trois échelles d’analyse du territoire se présentent : le sud parisien, le territoire de Seine-Amont, le méandre d’Orly. C’est à une quatrième échelle, celle du site de projet des Vœux, seule partie de la commune d’Orly en contact avec la Seine, que je présenterai le détail de mes propositions.

Échelle du sud parisien

Ce premier périmètre d’étude est délimité par le plateau de Saclay à l’ouest, centré sur le plateau d’Orly ainsi que sur la vallée de la Seine et borné à l’est par les premiers reliefs de la Brie. Cette échelle m’a permis de procéder à l’étude géographique (hydrologie, topographie, géologie) et historique du territoire, mais aussi de recenser et d’étudier la particularité de chaque réseau de transport. Deux axes de développement du territoire se dégagent. Le premier est celui du plateau agricole de Longboyau et de ses coteaux qui se sont urbanisés lentement avant de vivre deux chocs : la construction massive de grands ensembles dans les années 1960 et l’apparition de l’aéroport d’Orly. Le second est celui du développement industriel linéaire de la plaine alluviale (depuis Ivry-sur-Seine jusqu’à Orly) grâce à la Seine puis aux voies de chemin de fer. Ces deux axes de développement se sont ignorés jusqu’à la désindustrialisation des bords de Seine, qui offre aujourd’hui aux villes une opportunité de renouer avec le fleuve.

Seine-Amont, territoire de mutation

Ces terrains industriels offrent une réserve foncière rare dans la métropole parisienne mais difficile à aménager au vu des contraintes liées aux crues de la Seine, aux coupures des lignes des RER C et D et de la grande ceinture, mais aussi au fait de l’exposition des parcelles au bruit de l’aéroport. En 2007, l’État a décrété pour cette zone une opération d’intérêt national (OIN) et mis en place l’établissement public d’aménagement Orly Rungis Seine-Amont (EPA Orsa) afin d’accompagner les collectivités locales dans la réalisation de ces projets complexes. Ainsi les projets urbains des deux premiers méandres de la Seine-Amont ont été rapidement lancés (145 ha d’Ivry Confluences par Paul Chemetov et le méandre des Ardoines à Vitry-sur-Seine par Germe & JAM).

Le méandre d’Orly

Dès le large plateau de Longboyau, le paysage de l’échange apparaît. Une vaste plaque aéroportuaire inaccessible s’étend, d’où décollent les avions et où ils atterrissent. Ils survolent les centres-villes et plus spécialement l’axe historique de Villeneuve-le-Roi. Les villes étalées sur le coteau butent sur les voies du RER C. Au-delà, l’activité industrielle isole les centres-villes d’Orly et de Villeneuve-le-Roi de la Seine. Ici, les péniches se mêlent aux ballets aériens et ferroviaires. Sur la berge d’en face, à Villeneuve-Saint-Georges, le RER D glisse entre les arbres, perché sur les berges. Derrière un étroit quartier d’habitation apparaissent les rails enherbés de Villeneuve-Triage.

À la différence du méandre amont d’Ivry-sur-Seine et de Vitry, le contraste entre les communes occupant le méandre d’Orly est plus saillant. Même si ces communes partagent les principes de développement décrits plus haut (développement des villes sur le coteau et activité industrielle en bord de Seine), les disparités sociales, économiques et politiques ainsi que la différence des temps opérationnels rendent difficile un projet global semblable à ceux d’Ivry Confluences ou des Ardoines. En effet, Villeneuve-le-Roi est très touché par les nuisances sonores de l’aéroport. Ensuite, la zone industrielle de La Carelle appartient à un grand nombre de propriétaires aux intérêts divergents. Enfin, un important dépôt pétrolier, site classé Seveso, rend tout projet urbain difficilement imaginable dans les années à venir.

Le site des Vœux

L’axe urbain historique de la ville qui concentre la plupart des polarités urbaines (centre administratif, centre culturel et commercial, ainsi que le centre ancien) bute sur les voies du RER C et sur le quartier des Saules. L’enjeu est de prolonger cet axe urbain jusqu’aux bords de Seine et de déterminer un programme apte à cohabiter avec les usages industriels en place. Pour ce faire, le projet propose des solutions qui permettront de désenclaver le site et de prendre en compte les contraintes liées au paysage de l’échange.

La majorité du site des Vœux est utilisée par l’usine de potabilisation de l’eau d’Orly (gérée par Eau de Paris). De ce fait, les projets de desserte et d’urbanisation ont été limités. Le site de l’usine de 55 ha est divisé en deux par la voie de Bouvray. Les bâtiments nécessaires au traitement de l’eau sont situés dans la partie nord du site, alors que la partie sud accueille un vaste plan d’eau utilisé comme réserve de fonctionnement en cas de pollution de la Seine.

Entre le site de l’usine et le reste de la ville s’étend une friche dégradée (décharge sauvage) appartenant à la ville d’Orly.

L’ensemble du site des Vœux est peu construit et offre une présence naturelle forte, renforcée par une épaisseur de berges rare dans le sud parisien. Si ce site présente un potentiel évident (maîtrise foncière, peu de démolitions à prévoir, caractère naturel) et un caractère stratégique (possibilité de reconnecter la ville et le fleuve, de désenclaver les quartiers autour du site), il faut néanmoins trouver des solutions subtiles de cohabitation entre les nouveaux usages et les usages industriels, tout en remédiant aux difficultés engendrées par les lignes de chemin de fer et les crues de la Seine.

Composition en lanières

Pour rendre lisibles les éléments existants du site et les projets en cours, la composition générale du projet s’appuie sur un schéma en lanières.

Au nord du site, une lanière productive se dessine avec la présence de l’usine de potabilisation de l’eau et le projet de construction du site de maintenance de la ligne 9 du tramway. Les abords de cette lanière sont travaillés afin de mettre en scène ces activités cruciales pour la métropole.

Plus au sud se trouve la lanière des bassins, ce nouvel espace ouvert qui doit organiser le compromis entre la sécurité du processus de production d’eau et l’ouverture au public, selon le principe « sécuriser sans confisquer ».

Puis la lanière végétale touche la partie la plus naturelle du site. Le projet s’attache à maximiser le potentiel écologique du parc en organisant de nouveaux échanges avec la Seine.

Ces lanières sont reliées entre elles et rattachées au tissu urbain par différentes coutures, le quartier de l’interface, les voies de circulation et les ouvrages de franchissement.

La lanière des bassins

En raison de la présence de l’usine de potabilisation, l’aménagement de la lanière des bassins nécessite des compromis. En effet, l’ouverture au public du sud de la parcelle ne sera envisagée par le propriétaire et le gestionnaire du site que si le stockage de l’eau des bassins est assuré et sécurisé. Par-delà cette nécessité, la lanière des bassins s’inscrit dans le parc des Vœux et propose des espaces inédits aux Orlysiens.

Ma première idée est de fractionner le vaste plan d’eau actuel en unités plus réduites et indépendantes. Ainsi en cas de pollution, un système de vannes permet d’isoler le bassin pollué, tandis que les bassins non pollués continuent d’alimenter l’usine. Grâce à cette fragmentation des bassins, la gestion d’une situation de crise est anticipée.

Ma deuxième idée est de créer un contour planté autour des bassins afin de tenir le public à distance. Ce contour crée un effet de berge semblable à celles d’un étang naturel et masque les palplanches nécessaires à l’étanchéité des bassins de stockage. Il est alimenté en eau par la même station de pompage que les bassins dédiés à l’usine. Cependant ces deux circuits hydrauliques sont indépendants. En circulant l’eau est filtrée par l’effet du substrat et des plantes. La pente oriente l’eau épurée vers le plan d’eau ouvert aux usagers, long de deux cents mètres et large de cinquante mètres, ce bassin accueille en son centre une passerelle piétonne. Une machinerie est installée sous le tablier et permet de mettre en mouvement la masse d’eau du bassin et de créer des vagues dédiées à la pratique du surf. Une zone est aménagée pour la baignade.

Ce « Surfpark » me semble important compte tenu de l’imaginaire de la ville d’Orly saturé par l’aéroport. Amener en bord de Seine un élément à l’identité marquée permettra de mettre en lumière la connexion méconnue entre Orly et le fleuve.

La lanière végétale

Si les aménagements proposés pour la lanière des bassins sont conséquents, ceux de la lanière végétale sont beaucoup plus légers. La friche arborée qui s’est développée sera maintenue. Des clairières viendront animer le boisement, reliées entre elles par un lacis de chemins, invitant à la promenade et à l’observation. Si le projet agit peu sur le couvert arboré, les sols seront, eux, diversifiés. La prairie fauchée des clairières laissera place à un sous-bois herbeux ponctué de massifs d’arbustes afin de créer des écrans qui rythmeront le parcours. Des espèces animales se sont d’ores et déjà approprié le site, notamment une colonie de hérons. Un îlot de 1,7 ha sera rendu inaccessible au public afin de préserver la tranquillité des animaux. Dans cet espace, la nature pourra s’exprimer et il sera proposé aux visiteurs d’observer un réservoir de biodiversité connecté à la Seine. En effet, un réseau de mares sera creusé au point de contact avec la Seine afin de diversifier les habitats écologiques du parc. Perchée sur un point haut du site, une micro-architecture sur pilotis permettra d’accueillir des expositions et sera dédiée à l’animation écologique. Le toit de l’édifice sera accessible et permettra d’observer la lanière des bassins, la Seine et l’îlot préservé des hérons.

Vue d’une clairière.

La lanière urbaine

Cette lanière urbaine sera le seul quartier d’Orly en contact avec la Seine. Comme il est situé en zone constructible mais inondable au sens du Plan de prévention du risque d’inondation (PPRI), j’ai préféré construire un quartier presque entièrement sur pilotis et qui comprend deux typologies de bâtiments : logements collectifs et logements individuels mitoyens.

Composition en quartiers

Dessiner un quartier n’est pas immédiat pour un paysagiste. J’ai donc effectué plusieurs esquisses thématiques (mobilité et cônes de vue, continuité des espaces publics, ambiances urbaines, gestion des crues) qui se sont progressivement stratifiées pour former le projet.

Le quartier des Vœux s’appuie sur le prolongement des circulations du quartier existant à Villeneuve-le-Roi. Ces axes se prolongent dans le parc en direction de la lanière des bassins. Une passerelle franchit les voies du RER C et relie l’est de la lanière au quartier de l’interface. Cette passerelle impulse la chaîne d’espaces publics de la lanière. La chaîne se compose de places et de squares aux différentes configurations spatiales tournés vers le parc, en tampon entre deux fronts bâtis, en couture entre le nouveau quartier et Villeneuve-le-Roi. Elle est animée par des noues, et des bassins de stockage d’eau pluviale guident les inondations. Deux chemins de crue connectent l’intégralité des bâtiments du quartier entre eux. Ces circulations surélevées assurent la sécurité des déplacements lors des crues décennales, cinquantennales et centennales.

Ambiances urbaines du quartier

Pour la conception d’un ensemble urbain sur pilotis aussi vaste, il m’a paru important de réfléchir aux ambiances urbaines proposées, notamment au niveau du rez-de-ville. Les trois quartiers sont nommés en fonction de leurs implantations, chacun d’eux s’articulant autour d’un repère urbain : passerelle, place et promenade au bord de la Seine. Pour chaque quartier, un cahier des charges spécifiques sera élaboré afin d’orienter les réalisations architecturales et d’affirmer trois ambiances distinctes. L’espace de rez-de-ville reflète également ces différentes ambiances. Les places de stationnement sont agencées de manière à libérer un espace semi-public, où les habitants pourront disposer d’espaces de jeux.

Les coutures

L’aboutissement de ce projet composé en lanières dépend des interconnexions de celles-ci et de leur greffe au tissu existant. Les différentes coutures prennent la forme d’axes routiers, piétonniers, de places ou encore d’infrastructures de franchissement.

Le quartier de l’interface est un nouveau quartier dense qui prend place entre les deux voies ferrées, au sud de la voie de Bouvray. Il est situé hors de la zone inondable et à proximité de la gare des Saules. C’est une charnière qui rattache l’axe d’Orly aux nouveaux espaces de bord de Seine. La voie de Bouvray est requalifiée en axe urbain structurant. Elle joue le rôle de frange entre la lanière productive et le parc des Vœux, puis franchit la Seine (création d’un pont) et relie Orly à Villeneuve-Saint-Georges. Cette avenue est ponctuée de places qui offrent des points de vue sur des éléments du paysage de l’échange.

Vue du pont haubané d’Orly.

La première place articule la connexion entre le quartier de l’interface, le parc Mermoz et l’avenue Adrien-Raynal. Elle nécessite l’élargissement du passage sous les voies du RER C et trouvera toute sa dimension si le Syndicat des transports d’Île-de-France (Stif) cède à la commune son jardin d’ornement afin qu’il soit intégré à l’espace public. La deuxième place met en scène le projet du site de remisage des tramways conçu par l’architecte Jacques Ferrier tout en répondant aux nécessités des habitants du quartier. Au-delà des voies, la troisième place annonce l’entrée principale du parc des Vœux. Les deux dernières esplanades ancrent le pont de part et d’autre du fleuve et donnent accès aux bords de Seine. Au sud du quartier de l’interface, une passerelle piétonne franchit les voies du RER C. Cet ouvrage, décrit plus haut, relie le quartier de l’interface au quartier des Vœux.

Article publié dans Les Cahiers n° 15, « Vous avez dit paysage ? », 2017, p. 36-45.
Top