Tram des villes – train des champs

Entre ville dense et ville diffuse : enjeux de la réhabilitation d’une voie de transport aux portes de Marseille

Gabriel Mauchamp

Le texte ci-dessous est issu d’un travail de fin d’études soutenu à l’École de la nature et du paysage. Cette page n’inclut qu’une partie des documents graphiques publiés dans la revue papier.

L’idée de ce travail est venue d’une image gravée dans ma mémoire. Une vieille ligne ferroviaire que je connaissais par petits morceaux, petits bouts de souvenirs inscrits dans la campagne marseillaise. Des odeurs, des lumières de Provence, un cirque de collines calcaires, et puis l’envie de redécouvrir ce pays, l’arpenter le long de cette ligne posée dans la vallée. Cheminer pour mieux comprendre, imaginer et rêver son avenir.

Les friches ferroviaires sont des territoires oubliés, paysages que l’on connaît par fragments, souvenirs furtifs de rails, traverses, ballasts et ouvrages d’art. Ces longues lignes en friche traversent des territoires qui se sont transformés au fil des années, mais elles ne semblent pas être touchées par tant de changements. La végétation réinvestit les lieux et leur donne toute leur poésie, magnifiée par l’acier rouillé des rails.

À l’époque où elles étaient en service, ces lignes avaient un impact social et économique important ; le développement de la voiture a pris le relais. Face aux problèmes environnementaux qui s’annoncent pour les années à venir, ces voies de communication peuvent être de nouveau regardées et valorisées, notamment à proximité des grandes métropoles.

Le sujet de cette étude, la voie ferrée de la Valdonne, se situe dans le département des Bouches-du-Rhône, aux portes de Marseille, dans la vallée de l’Huveaune. Cette voie ferrée se trouve à proximité de trois pôles urbains : Marseille, Aubagne et Aix-en-Provence. Depuis
cinquante ans, ces villes exercent une forte pression sur ce territoire en repoussant toujours plus leurs frontières sur la périphérie. Dans son ascension vers la vallée, l’urbanisation gaspille toujours plus d’espace, consomme les forêts, les vergers et les terres arables comme des territoires vierges. Aux portes de Marseille comme partout ailleurs, les limites entre la ville et la campagne deviennent de plus en plus floues. L’urbain est devenu en une cinquantaine d’années l’unique référentiel de ces territoires à la marge des villes. Les nouveaux habitants ne connaissent plus la culture de la terre. Ils se retrouvent à vivre ici pour être au calme, isolés dans leurs pavillons qui ont remplacé d’anciens champs.

Dans ces zones de ville diffuse proches de Marseille, la majorité des habitants exercent une activité en centre-ville, plus ou moins loin de leur lieu d’habitation. Ainsi, le centre et sa périphérie entretiennent des relations constantes, reliés par les routes et les autoroutes urbaines arrivant à saturation aux heures de pointe. Il semble donc nécessaire et urgent de transformer l’approche de ces territoires. Passer d’une vision de la ville limitée à la ville compacte, à une vision élargie vers la périphérie, prenant acte de l’expansion de la « tache » urbaine. L’échelle du projet est celle de la ville territoire, englobant toute l’extension induite récemment par le transport individuel de masse. Cet ensemble a besoin de se refonder autour de fils conducteurs mêlant le paysage, le transport en commun et l’urbanisme, dans le but d’établir un rapport durable entre ville et campagne.

L’approche de la périurbanisation sous l’angle de la mobilité permet de répondre à un enjeu réel en termes d’aménagement. L’occasion est donnée de réfléchir à une alternative au transport automobile, à travers la reconsidération d’anciennes voies ferroviaires.

Comment réinvestir le patrimoine ferroviaire pour cette vallée aux portes de Marseille ? Comment trouver dans la friche les territoires de demain tout en conservant les qualités d’aujourd’hui ?

Du territoire rural à l’explosion urbaine, comment une voie de communication peut-elle être le support d’une nouvelle manière d’habiter et de vivre le paysage ? Comment inventer une périphérie ayant des qualités urbaines, tout en valorisant le cadre naturel et agricole en déclin ? Comment retrouver du lien là où tout semble diffus ?

Une unité territoriale retrouvée

La voie de la Valdonne traverse six communes sur un peu plus de seize kilomètres de long. C’est le seul axe ferré disponible dans la vallée de l’Huveaune, constituant ainsi l’unique occasion de réaliser un transport en commun indépendant du réseau routier. À long terme, il est facile d’imaginer un prolongement de ce transport jusqu’à Aix-en-Provence, permettant de réaliser le même bouclage que les autoroutes entre les trois grandes villes du territoire élargi. L’offre serait alors optimale et permettrait de développer une réelle alternative à la logique routière.

Le travail s’intéresse à l’emprise existante de l’ancienne voie ferrée. Il propose de la réaffecter en y implantant un transport rapide, à travers l’usage d’un tram-train, combiné à un réseau cyclable et piéton actuellement absent, lui aussi, du territoire.

Le tram-train est un système de transport en commun permettant de circuler aussi bien sur les voies de tramway que sur les voies de chemin de fer classiques. Ce transport peut donc circuler comme un tramway et un train : de manière lente aux abords des villages et de manière plus rapide sur les voies partagées avec les trains régionaux. Ainsi ce nouveau transport est parfaitement adapté à l’enjeu du territoire, permettant de relier directement, sans changement, les villages à la ville, tout en offrant la qualité d’aménagement et le vocabulaire propres au tramway.

Depuis toujours, la ville se compose d’espaces publics, tandis que dans les villages, le seul espace de rencontre se résume à une place, située dans la partie la plus ancienne. Avec l’arrivée d’une nouvelle population aux pratiques urbaines, ces places se retrouvent éloignées des lieux d’habitation, éparpillés de manière diffuse. Ces lieux sont souvent mal utilisés et ne constituent plus de véritables espaces fédérateurs comme ils ont pu l’être autrefois.

L’idée du projet est d’offrir de véritables espaces publics autour des gares et des arrêts. La ligne devient ainsi un lien. D’un village à un autre, cette fine ligne se dilate là où elle le peut encore pour inventer de nouveaux rapports au territoire.

De cette manière, le projet le long de la ligne permet de se rendre d’un village à un autre à pied ou à vélo, flâner le soir au milieu des grillons ou bien s’asseoir et se laisser aller à la rêverie, dans cet horizon de collines calcaires baignées d’un blanc éclatant. Les circuits de randonnée menant aux collines viennent eux aussi se greffer à ce nouvel axe, dialoguant de manière transversale avec l’infrastructure.

La mise en réseau des villages de la vallée de l’Huveaune, par la mise en service du tram-train, permet d’apporter en plus du transport les services de la vie quotidienne sur tous ces nouveaux nœuds de transport. La ligne devient le support de différents services partagés entre les villages. On peut ainsi imaginer un service de bibliothèque, un « bibliotram », stationnant sur une voie annexe et autour duquel se développerait un espace public de qualité. La voie peut aussi être utilisée la nuit, après le dernier tramway, pour d’autres usages : la collecte des ordures, du compost, ou encore le service de fret pour les commerces et les activités profitant de cette nouvelle opportunité.

La ligne devient ainsi le liant de territoires disjoints, profitant à chacun et à toute heure.

Les gares et les arrêts

Le tracé de l’infrastructure ferroviaire a été accompagné par la construction de gares pour les voyageurs, que complètent des hangars pour le stockage de marchandises. Ces hangars ont aujourd’hui disparu mais leur emprise subsiste, aujourd’hui en friche. Les gares sont donc les seules constructions à conserver la mémoire de la ligne. Le projet propose de les reconsidérer comme des microcentralités. Elles sont réhabilitées, transformées en équipement public ou en commerce de proximité, constituant de nouveaux lieux de vie.

Ces gares étaient un peu excentrées, mises à l’écart pour ne pas trop gêner les habitants lors du passage des puissantes machines à vapeur. Elles se retrouvent maintenant à la jonction entre les vieux villages et les nouvelles habitations.

Mais elles ne sont pas suffisantes pour répondre à la demande à l’échelle du territoire. En effet, à l’époque de sa construction, l’espace qui se trouvait entre les gares n’était pas habité. Aujourd’hui l’étalement urbain a gagné. Pour répondre à cette nouvelle donne, le projet propose d’implanter des arrêts, plus petits que les gares, assurant une desserte régulière.

Ces nouveaux nœuds de réseau que sont les gares et les arrêts s’ouvrent sur la ville diffuse et le territoire, tout en redonnant du sens aux anciens villages. Ils offrent des lieux particuliers autour des gares.

Les anciennes gares deviennent ainsi des espaces de rencontre et de partage, retissant un lien social entre les nouveaux habitants et ceux qui sont établis là depuis plusieurs générations. De cette manière, la ville rencontre la campagne et la campagne se donne à voir à la ville.

La gare de Pont-de-l’Étoile

Pont-de-l’Étoile est la première gare de la ligne de la Valdonne autour de laquelle subsiste une pinède qui reprend peu à peu ses droits.

Le scénario proposé résume la volonté de conserver la richesse apportée par l’existant. Amener le tram-train sans modifier avec brutalité le site, tout en imaginant la nouvelle vie venant se tisser autour. Retrouver à travers le projet de paysage la richesse de ces lieux. Penser, dessiner, rêver ces espaces et leurs spécificités.

L’espace public est pensé comme un vaste jardin : liens à la richesse des paysages de garrigue et des pinèdes, liens à l’eau à travers le chemin du canal et les belvédères sur l’Huveaune, mais aussi liens aux autres, car la place de la gare devient plus qu’un simple lieu d’attente. On s’y retrouve l’été à l’ombre des micocouliers, les enfants passent de longues heures à jouer sous la pinède, tandis que les habitants du village discutent sur les terrasses, près des cerisiers, en contemplant la vallée un peu plus bas.

Le travail sur cette gare joue avec la qualité géographique du site. La gare devient un véritable nid ouvert sur la vallée, encerclée de collines et de pins qui guident les usagers vers la prairie humide. La transition entre ces deux espaces contrastés se fait à travers un grand verger en terrasses. Celles-ci reprennent le vocabulaire des restanques provençales tout en introduisant celui de la voie ferrée, par l’utilisation des anciennes traverses. Le projet redonne une lisibilité à cet espace oublié en jouant avec l’histoire et le patrimoine, en essayant de révéler par une intervention minimale la poésie de cette gare.

La ligne : un concentré d’ambiances guidant vers une nouvelle approche du territoire

Les espaces publics des gares sont reliés par un aménagement le long de la voie. Cette mise en réseau se fait à travers un jardin linéaire, fine bande plantée d’espèces méditerranéennes. L’introduction d’espèces végétales ayant disparu de la vallée offre l’occasion de recoloniser les espaces plus ou moins proches de la ligne en apportant une grande diversité floristique. Cette action permet d’apporter aux piétons, cyclistes et passagers du tramway un concentré d’ambiances propres au milieu méditerranéen, riche en odeurs, couleurs et textures. Cette diversité floristique est déclinée en séquences, correspondant aux entités de territoire que l’on rencontre au cours du trajet. Ces séquences se différencient par leur rapport à la topographie, assise donnée par le relief qui guide la perception du paysage depuis la ligne.

Le tracé de la voie joue finement de ces contrastes. Elle se pose dans la plaine d’Aubagne, tranche le massif de l’Étoile, se retrouve au-dessus de la plaine agricole pour arriver à niveau à la gare de Roquevaire avant de repartir finement vers le goulet de l’Huveaune, espace naturel, rencontre entre les deux massifs de la vallée, pour enfin arriver à La Bouilladisse en longeant une autoroute très présente.

Ainsi, les espaces naturels deviennent plus accessibles, les terres agricoles sont valorisées et l’espace bâti existant est densifié à proximité de l’axe. Ainsi le paysage est perçu d’une manière nouvelle par l’usager, qui redécouvre son territoire grâce à la ligne, véritable fenêtre mobile.

L’arrêt qui est proposé dans la plaine agricole entre Pont-de-l’Étoile et Roquevaire est une démonstration de ce que pourrait être la ville durable de demain, qui devra considérer l’activité agricole de proximité comme une structure à part entière de la ville diffuse et non comme un simple décor. L’agriculture périurbaine est une alternative à l’agriculture intensive, qui permet de produire localement. Le projet de transport en commun offre la possibilité de favoriser cette économie locale, en permettant d’établir un circuit court, du producteur au consommateur, par un point de vente situé au niveau de l’arrêt. Descendre du tram à la rencontre des agriculteurs, surplomber la vallée et les plantations, permet de transformer et de valoriser ces espaces.

Le nouveau regard sur cette ligne permet d’établir un contrat entre ville et nature, entre étalement urbain et agriculture. Cette relation permet de considérer les sites naturels et agricoles comme des espaces patrimoniaux à conserver et à valoriser, tout en replaçant l’homme à sa juste échelle dans le territoire.

Diplôme soutenu en 2008.
Article publié dans Les Cahiers n°7, « Densités », p. 44-49.
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